Le Formant de la Chanteuse ou du Chanteur

EN | FR

Le formant du chanteur est une caractéristique que l'on peut observer dans la qualité vocale des chanteurs classiques lorsqu'ils tentent de chanter acoustiquement à travers tout un orchestre. Il est décrit par un pic à environ 3000 Hz dans l'enveloppe spectrale de la voix du chanteur, créé par une modification active de la résonance du conduit vocal (une capacité qui peut être acquise après des années d'entraînement vocal). En raison du formant du chanteur, l'énergie spectrale est distribuée différemment pour les voix d'opéra que pour les orchestres. Cela empêche l'orchestre de masquer la voix du chanteur classique, même dans les sections très bruyantes (on dit que la voix « coupe » à travers l'orchestre, sans avoir à augmenter la pression de l'air et à créer une tension sur les plis vocaux).

Vous êtes-vous déjà demandé comment les chanteurs d'opéra pouvaient chanter si fort ? Dans le studio de chant, le chant lyrique n'est pas considéré comme fort, mais plutôt comme possédant une résonance (d'après la terminologie des chanteur.ses et non d'acousticien.nes), une focalisation (parfois visualisée comme un point laser), une qualité d'incision (terme non technique signifiant que la voix peut percer à travers la texture d'un orchestre) ou un squillo (mot italien pour désigner le bourdonnement d'une voix d'opéra). Une voix de formation classique peut être entendue même si elle est accompagnée de cordes, de percussions, de bois et, dans le cas de Die Walküre de Wagner, de vingt-deux cuivres. Si vous vous êtes déjà trouvé dans la même pièce qu'une seule trompette, imaginez que vous devez rivaliser avec elle et vingt et un de ses amis. Les chanteurs d'opéra, cependant, ne considèrent pas cela comme une compétition. Plutôt que d'essayer de chanter plus fort qu'un orchestre complet, ce qui endommagerait la voix, les chanteurs d'opéra s'entraînent à chanter à travers lui. En termes acoustiques très simples, cela est possible parce que l'orchestre a un pic d'énergie dans sa série d'harmoniques vers 500 HZ et que le pic dans la série d'harmoniques d'un chanteur apparaît vers 3000 HZ ou au niveau du formant du chanteur. Ce phénomène peut être observé sur des spectrographes et s'acquiert au cours d'années d'entraînement spécialisé, au cours desquelles les chanteurs apprennent (entre autres) à abaisser le larynx, à relever le palais mou, à détendre la langue, à engager le cœur de manière nouvelle et à gérer soigneusement la respiration. La plupart des gens ne peuvent pas entendre consciemment les formants, mais 500 Hz correspond approximativement à un Si4, et 3000 Hz correspond approximativement à Fa#7. Pour référence, le do central est le Do4 et le do aigu d'une soprano est en Do6.

 
Sundberg, Johan. The Science of the Singing Voice. Dekalb, Illinois, Northern Illinois University Press: 1987. Page 123

Distribution de l'énergie d'un orchestre (ligne noire) comparée à celle d'un orchestre comprenant une voix chantée (ligne pointillée). La figure est tirée de Sundberg (p. 123) [1].

 

L'image ci-dessous montre quatre fa, dans l'ordre croissant des fréquences fondamentales, chantés par l'auteure, une soprano de 28 ans de formation, en utilisant la « voix d'opéra » — c'est-à-dire une production classique occidentale standard. Les fréquences fondamentales, énumérées sous chaque graphique en texte et en Hertz, sont visibles sous la forme de la ligne ondulée la plus basse sur chaque graphique. Dans les trois premiers, on peut voir distinctement une concentration d'énergie autour de 3000 Hz (encerclée en blanc). Le quatrième fa, le fa de « La Reine de la Nuit », ne montre aucun formant de chanteur.se. Ce phénomène est conforme aux résultats des recherches sur la voix, qui prévoient que les sopranos perdent leur formant à des fréquences fondamentales très élevées.

Les formants, tels qu'ils sont décrits dans cet article, ont pour effet d'augmenter la quantité d'énergie d'une harmonique ou d'un groupe d'harmoniques. Dans le cas présent, ils sont dus à une résonance spéciale dans le conduit vocal que les chanteurs apprennent à créer avec leur voix et qui accentue certains harmoniques. Johan Sundberg, anciennement de l'Institut royal de technologie de Stockholm, est un chercheur qui a beaucoup étudié le formant du chanteur.

Pour l'entendre en action, écoutez la célèbre Chevauchée des Walkyries. Dans cette vidéo, l'orchestre apparaît sur scène avec les chanteurs, ce qui n'arrive que très rarement à l'opéra de nos jours, grâce à Wagner lui-même, qui a compris que le fait de placer l'orchestre sur un plan physique inférieur donnerait aux chanteurs un avantage acoustique supplémentaire. Le fait de placer l'orchestre sur la scène supprime cet avantage, laissant le formant du chanteur faire tout le travail. Nous commençons à environ 4 minutes, où la célèbre fanfare de cuivres fait son retour. À ce stade, les chanteurs sont dans leur registre moyen, dans lequel il peut être plus difficile de projeter la voix. L'orchestre joue fortement, mais nous entendons clairement les chanteurs, pas plus fort que l'orchestre, mais en complicité avec lui et audibles tout au long du morceau. Dans cette deuxième version, la partition est visible, et nous pouvons observer exactement ce que font les chanteurs et l'orchestre. Ni les chanteurs ni l'orchestre ne se sentent plus importants. Les deux peuvent être entendus distinctement. Cela se produit, du moins en partie, car, bien que cela soit généralement exclu de notre écoute consciente, le cerveau est capable d'utiliser les informations relatives aux formants pour dissocier les différents sons.


Chevauchée des Walkyries (Wagner, Die Walküre, Acte 3) Version 1 :

Orchestre Philharmonique de Hong Kong

Chef d'orchestre: Jaap van Zweden

Chanteuses: Sarah Castle (Waltraute), Karen Foster (Gerhilde), Katherine Broderick (Helmwige), Anna Burford (Schwertleite), Elaine McKrill (Ortlinde), Aurhelia Varak (Siegrune), Okka von der Damerau (Grimgerde), Laura Nykänen (Rossweise)


Chevauchée des Walkyries (Wagner, Die Walküre, Acte 3) Version 2 :

Orchestre Philharmonique de Vienne

Chef d'orchestre: Georg Solti

Chanteuses: Helga Dernesch (Ortlinde), Brigitte Fassbaender (Waltraute), Helen Watts (Schwertleite), Berit Lindholm (Helmwige), Vera Little (Siegrune) Christa Ludwig (Fricka), Marilyn Tyler (Grimgerde) Vera Schlosser (Gerhilde), Claudia Hellmann (Rossweisse)


Autres articles par cette auteure

Lexique timbrale

Moments incroyables de timbre

Plus d'essais sur le lexique timbral

Previous
Previous

Partiel

Next
Next

Analyse de Scène Auditive