Synthèse instrumentale

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La synthèse instrumentale est une technique d’écriture et d’orchestration développée principalement dans les années 1970-1980. C’est le principe fondateur du courant de la musique spectrale, né en France et principalement représenté par les compositeurs Tristan Murail, Hugues Dufourt et Gérard Grisey à cette époque.

Ce procédé compositionnel n’aurait pas pu exister sans les progrès technologiques en acoustique des dernières décennies. L’invention déterminante a été le développement du sonagraphe, un traceur mécanique couplé à un dispositif analogique analysant les sons enregistrés. Il permettait d’obtenir une représentation visuelle du spectre de fréquences. Pour la première fois dans l’histoire, on pouvait visualiser le son de l’intérieur et en observer les différentes composantes. Le procédé a ensuite été rendu plus précis et performant grâce à l’utilisation des ordinateurs; aujourd’hui, cela se fait même en temps réel.

Cette sorte d’image du spectre de fréquences se nomme sonagramme (ou spectrogramme), et a servi de base de travail aux compositeurs du courant spectral. Ces compositeurs étaient au courant des découvertes scientifiques de leur époque en lien avec le son et la musique. En France, par exemple, les travaux d’Émile Leipp et de Michèle Castellengo ont beaucoup inspiré les compositeurs qui suivaient leurs travaux, dont Gérard Grisey.

Un sonagramme permet d’obtenir l’image du spectre de fréquences de n’importe quel son enregistré. Sur l’image, vous pouvez voir celui d’un son de flûte traversière.

 

Les dégradés de couleurs (ici du rouge au bleu) indiquent que l’énergie se concentre dans certaines régions, et les lignes bleues que l’on observe dans cette image correspondent aux partiels du spectre harmonique de la flûte (sur une échelle linéaire).

On pourrait reproduire ce spectre de flûte électroniquement, par un procédé de synthèse additive, où l’on fait jouer simultanément un groupe d’ondes sinusoïdales correspondant à chacune des fréquences des partiels du spectre original. La synthèse instrumentale part du même principe et consiste à prendre comme modèle un son représenté de cette manière et d’assigner un partiel (ou une ligne du sonagramme) à chaque instrument de l’ensemble (ou à différentes notes du piano), en choisissant les notes qui se rapprochent le plus de chacune des fréquences.

De cette manière, on obtient ce que le compositeur Gérard Grisey appelle les « accords-timbres ». Ce qui est fascinant dans cette manière de combiner les instruments, c’est que le système auditif (l’oreille) hésite entre la reconnaissance de chacun des instruments ou la séparation de chacune des notes, et la fusion qui s’opère presque automatiquement entre les différentes sonorités pour former un timbre émergent.

Comme le mentionnait Grisey dans ses écrits, avec la synthèse instrumentale, nous créons « un être hybride pour notre perception, un son qui sans être encore un timbre, n'est déjà plus tout à fait un accord, sorte de mutant de la musique d'aujourd'hui, issu de croisements opérés entre les techniques instrumentales nouvelles et les synthèses additives réalisées par ordinateur[2]. »

Vous voulez explorer ce type de sonorités? Vous pouvez écouter:

-De Gérard Grisey, le cycle des Espaces Acoustiques (six pièces pour ensembles de différentes tailles; partie 1: https://youtu.be/jQgLU0gjPtI ; partie 2: https://youtu.be/1BQQQ2bu3GM ).

-De Tristan Murail, L’Esprit des Dunes (1994, pour 11 instruments et sons de synthèse; https://youtu.be/ZFncet5VHRs) and Winter Fragments (2000, pour 5 instruments et électronique; https://youtu.be/buv6oWx-wxA).

REFERENCES

[1] Grisey, Gérard, « Structuration des timbres dans la musique instrumentale », in Lelong, Guy and Anne-Marie Réby (eds.), Gérard Grisey : Écrits, Paris : Éditions MF, 2018, p. 107. See the French version of this text below for the original citation.

[2] Grisey, Gérard, « Structuration des timbres dans la musique instrumentale », dans Lelong, Guy and Anne-Marie Réby (éd.), Gérard Grisey : Écrits, Paris : Éditions MF, 2018, p. 107.

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Julie Delisle

Now working as a technical customer support engineer at Audiokinetic (Montréal, Qc), Julie Delisle was postdoctoral fellow at the Music Perception and Cognition Lab (McGill University, Canada), where she worked on the ACTOR Project (Analysis, Creation, and Teaching of Orchestration).

https://mcgill.academia.edu/JulieDelisle
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