The Alchemical Wedding — Liza Lim

EN | FR

Dans The Alchemical Wedding (1996), pour grand ensemble, la compositrice australienne Liza Lim recherche des points de contact entre des « entités musicales apparemment disparates » (1996)—ce que reflète le titre de l'œuvre. Ce contact virtuel est mis en évidence par l'instrumentation particulière de l'œuvre, où l'Er-hu chinois et l'Angklung indonésien sont opposés à un grand ensemble occidental. Reflétant la fusion culturelle de l'éducation de la compositrice entre l'Australie et divers pays asiatiques, The Alchemical Wedding représente un mariage de possibilités musicales par la collision d'instruments et d'esthétiques asiatiques et occidentales.

Malgré cette proximité culturelle suggérée par les instruments asiatiques et insinuée par le titre de l'œuvre et la note de programme, The Alchemical Wedding ne cite pas souvent directement la musique asiatique traditionnelle (à l'exception de plusieurs fragments mélodiques nostalgiques joués par l'Er-hu). Au contraire, l'œuvre est imprégnée d'un fort sentiment d'amalgame sans entrave, démantelant les frontières entre les cultures et les conventions instrumentales. Les allusions à la musique asiatique traditionnelle sont multiples dans la musique de Lim, qui puise souvent dans les domaines du timbre et du dynamisme gestuel.

Vers la moitié de la pièce (mes. 98-106), un timbre notable produit par deux trompettes en sourdine perce la texture musicale. Pour les auditeurs familiers de la musique et des instruments traditionnels d'Asie de l'Est, ces trompettes reproduisent fidèlement le timbre du Sheng chinois ⏤ou de l'un de ses proches parents, comme le Shō japonais⏤ un instrument à anche libre soufflé à la bouche. (Pour une introduction rapide aux possibilités timbrales et musicales du Sheng, voir cette vidéo ou cet article  de l'université Northern Eastern sur les instruments de l'orchestre traditionnel chinois

 

Exemple vidéo 1 : The Alchemical Wedding, mes. 98-106, section des cuivres. Les dyades de trompettes dont le timbre émergent imite le Sheng sont surlignées en bleu.

 

Pour imiter le timbre nasillard du Sheng, les deux trompettes sont jouées avec des sourdines wah-wah ouvertes, ce qui ajoute à la qualité du son nasillard et brillant (Bertsch, 1995). En outre, comme on peut le voir dans l'exemple vidéo 1, le timbre de type Sheng émerge des deux trompettes qui se déplacent en quartes parallèles comme une sorte de mélodie monophonique, où la première trompette interprète la ligne mélodique principale. Ce traitement harmonique des lignes mélodiques rappelle les techniques de jeu traditionnelles du Sheng, où la mélodie principale est souvent harmonisée (on pourrait dire « enrichie timbralement ») par une quinte parallèle et/ou une octave au-dessus d'elle. Une quarte en dessous de la ligne mélodique principale peut être jouée à la place lorsque les notes supérieures ne sont pas disponibles (« Sheng (instrument) », 2022 ; Wu, n.d. ; voir également démonstration en pratique.) Étant donné que la construction du Sheng lui permet de jouer facilement de la musique polyphonique et des accords, ce principe traditionnel d'harmonisation consistant à ajouter des intervalles parallèles enrichissant la mélodie principale (parfois avec des intervalles autres que la quarte, la quinte et l'octave) a toujours fait partie intégrante du jeu du Sheng. Cette pratique contribue de manière significative à la richesse sonore caractéristique du Sheng, où une seule mélodie est souvent enrichie par des harmonies sonores (Wong, 2005, pp. 141-142).

 

Exemple vidéo 2 : Il existe d'autres exemples où les compositeurs exploitent les caractéristiques traditionnelles de l'harmonisation des instruments à anche libre de type Sheng pour reproduire leurs sons. Ci-dessus, un extrait de Muak (1978) d'Isang Yun, mes. 59-67. Notez les accords surlignés en bleu joués par les hautbois et les clarinettes, qui évoquent une image lointaine du Saenghwang coréen, un autre proche parent du Sheng.

 

Pour en revenir à la pièce de Lim, l'harmonisation de ces deux trompettes, associée à l'utilisation de sourdines, capture ingénieusement le timbre caractéristique des harmonies de Sheng. Comme si elles provenaient d'un seul instrument, les deux trompettes se fondent en un seul instrument virtuel, créant une forme d'« émergence timbrale » (McAdams, Goodchild et Soden, 2022) où le nouveau timbre qui en résulte est plus riche que l'un ou l'autre des deux constituants.

Cette union timbrale entre les deux trompettes n'est cependant que momentanée. Le mouvement parallèle entre les deux ne dure pas longtemps avant qu'elles ne se séparent en lignes individuelles aux figures contrastées. Ce moment éphémère, qui rappelle le son de Sheng, ressemble davantage à un contact fortuit entre les deux instruments, sans que l'on s'attarde délibérément sur des références culturelles. Comme dans le reste de l'œuvre, les différentes entités musicales se désagrègent et se recombinent ailleurs. Dans leurs méandres, ces moments d'union semblent à la fois surprenants et inévitables.

Références

Enregistrements

Enregistrements utilisés dans les exemples vidéo 1 et 2:

  • The Alchemical Wedding: Elision Ensemble / Ensemble Modern / Dominique My (conductor), in Liza Lim: The Heart’s Ear, ABC Classics, 1999.

  • Muak: Rundfunk-Sinfonieorchester Saarbrücken / Hans Zender (conductor), in Isang Yun: Muak, Pièce Concertante & Sonatina, Camerata Tokyo, 1989.

Photo d'en-tête/de vignette :

ZHOU Wenju: United by Music (合樂圖) (part), 15th/16th century

Previous
Previous

Progression Timbrale dans dichroic seventeen de Rebecca Saunders

Next
Next

Subwhistle — Brian Jacobs