Buzzard and Kestrel — James Blake
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Buzzard and Kestrel — James Blake
par Jeremy Tatar
Moments incroyables du timbre | Écrits sur le timbre et l'orchestration
Version anglaise (originale), publié 29 février 2020 | Version française, publiée le 2 février 2024
Une caisse claire martèle inlassablement durant les soixante premières secondes de « Buzzard and Kestrel » de James Blake, ponctuée par des « swoops » aléatoires de voix vocodeurisées, un tapement de mains occasionnel et une sous-basse intermittente presque à la limite de l’audible. Au fur et à mesure que le motif de la batterie se répète, sa réverbération augmente progressivement jusqu’à ce que la piste entière soit recouverte d’un grésillement continu. À son apogée, vers 0:56, les attaques de la caisse claire sont presque complètement avalées par leurs propres échos, la réverbération étant un bourdonnement inninterrompu dans nos oreilles.
Puis, quelque chose de stupéfiant se produit.
Comme si l’on remontait à la surface après une profonde plongée sous l’eau, les échos entourant le motif de la batterie disparaissent soudainement. Lorsque notre tête émerge de l’eau, la batterie est d’une clarté cristalline ; elle est proche, sèche et immédiate. Quatre battements plus tard, le rythme de la chanson tombe, et le morceau commence sérieusement.
Dans son article influent « The Paradox of Timbre » (2002), l’ethnomusicologue Cornelia Fales décrit l’importance du timbre pour fournir aux auditeur.rice.s des informations précises sur leur environnement. « Non seulement le timbre porte le plus d’informations sur une source et sa localisation », écrit-elle, « mais de tous les paramètres de la musique, il porte aussi le plus d’informations sur l’environnement à travers lequel le son a voyagé » (57). J’entends une manifestation particulière de ce phénomène dans « Buzzard and Kestrel », et la manipulation magistrale par Blake de l’espace environnemental autour de l’auditeur.rice est ce qui rend ce moment du timbre si frappant.
Jouant sur la relation entre la réverbération et notre perception de la taille, de la forme et de la composition de l’espace dans lequel ces réverbérations se produisent, la première minute environ de « Buzzard and Kestrel » raconte une histoire distincte à travers une séquence de sensations différentes. Une version de cette histoire pourrait être la suivante : vous vous trouvez dans un petit espace non réverbérant avec une source sonore à proximité. Peu à peu, la taille de l’espace s’agrandit et les échos de la source sonore commencent à rebondir sur ses murs. Comme l’espace semble ne pas pouvoir s’agrandir davantage et que les échos menacent de vous submerger, vous regardez autour de vous et vous trouvez une petite porte sur le côté. Vous sortez de l’espace désormais caverneux par cette porte, et au moment où vous en franchissez le seuil, les échos tonitruants se dissipent soudainement. Mais bien que la réverbération ait disparu, le son initial reste avec vous, comme une pensée à laquelle vous ne pouvez échapper. Écoutez à nouveau « Buzzard and Kestrel » en gardant l’histoire à l’esprit, et voyez si vous pouvez imaginer cette sensation d’expansion de l’espace.
En utilisant un outil appelé spectrogramme, qui visualise le spectre des différentes fréquences présentes dans un fichier audio au fil du temps, nous disposons d’une méthode différente, peut-être moins fantaisiste, pour explorer cette « couverture » de réverbération telle qu’elle émerge au cours de la progression du morceau. Les figures ci-dessous montrent trois moments de l’ouverture de la piste. La figure 1, débutant à la position 0:00, Audio Example 2, est le motif de la batterie tel qu’il est entendu pour la première fois par l’auditeur.rice :
La figure 2, quelque 50 secondes plus tard, montre une brume blanche uniforme sous 16 000 Hz. C’est le grésillement de la réverbération, une brume qui recouvre doucement le motif de la batterie.
Enfin, dans la figure 3, nous pouvons voir le moment où cette couverture est levée, vers 1:05 de l’exemple audio 4.
Mais ces représentations visuelles rendent-elles vraiment compte de ce que l’on ressent en écoutant « Buzzard and Kestrel » ? Que nous disent-elles sur cette musique que nos perceptions ne nous disent pas, mais surtout, que manquent-elles ?
À propos de James Blake
En 2010, James Blake était un musicien anglais de 22 ans qui était plus susceptible d’être confondu avec le joueur de tennis américain que reconnu pour sa musique. En 2020, cependant, Blake est devenu un producteur et un auteur-compositeur acclamé par la critique, et a largement collaboré avec des artistes tels que Kendrick Lamar, Frank Ocean, Chance the Rapper et Beyoncé. « Buzzard and Kestrel » est le deuxième titre de son premier EP The Bells Sketch, sorti sous la maison de disques « dance » londonienne Hessle Audio. Bien que le travail de Blake se soit quelque peu éloigné de la sonorité inspirée du dubstep qui caractérisait ses premiers EP et son premier album éponyme (2011), de nombreuses traces de cette esthétique « club » demeurent dans sa musique.
par Jeremy Tatar