Le timbre composite des œuvres vocales et instrumentales de Luigi Dallapiccola depuis ses Six chants d’Alcée

Le timbre composite des œuvres vocales et instrumentales de Luigi Dallapiccola depuis ses Six chants d’Alcée

Une étude de l’écriture, du son, de l’interprétation

Auteur 

Pierre Michel - Université de Strasbourg « ITI CREAA »

 
 

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la célébrité de Luigi Dallapiccola (1904-1975) était associée à quelques grandes œuvres chargées d’un message humaniste, en particulier les Canti di Prigionia (1938-1941) et l'opéra Il Prigioniero (1944-1948) qui demeurent encore aujourd’hui parmi ses œuvres les plus connues. Il convient de ne pas réduire la personnalité du compositeur à ce seul aspect de son œuvre, de même qu’il convient de ne pas voir uniquement en lui un praticien et/ou héritier des techniques dodécaphoniques héritées de Schoenberg et Webern, ce en quoi sa musique a occupé et occupe toujours une partie importante des travaux des théoriciens ou historiens de la musique[1].

Alors que la question - passionnante et pertinente - du rythme chez Dallapiccola a été brillamment mise en évidence par Dietrich Kämper[2], les qualités de timbre de sa musique n'ont jamais été véritablement abordées en profondeur, et elles m'avaient cependant frappé dès le début de mes recherches sur Dallapiccola. La lecture alors d'un article de Gérard Grisey[3] m'avait stimulé par sa pensée musicale, parfois proche de certaines préoccupations du compositeur italien, bien que le style de Dallapiccola n'ait, bien évidemment, rien à voir avec celui des œuvres de Gérard Grisey.

Ces dimensions du timbre et de l’orchestration en général avaient été abordées jusqu'à une période récente sous l'angle des « familles » ou des « filiations » de musiciens qui s'inscrivent par exemple dans le sillage de Berlioz, de Debussy, de Stravinsky ou de Schoenberg, et dont les principaux représentants les plus « modernes » au XXe siècle sont, Berg, Webern, Varèse, Messiaen, Boulez, Stockhausen, Xenakis, Ligeti, Scelsi, Murail, Grisey, Lévinas, Dufourt ou encore Saariaho, Harvey et beaucoup d’autres[4].

Cet article est une synthèse de plusieurs publications antérieures (en plusieurs langues, voir bibliographie), et j’y propose aussi de nouvelles recherches inédites à propos des œuvres pour voix et ensembles instrumentaux (ou orchestre) de Dallapiccola. La période la plus significative pour mon propos correspond surtout aux œuvres composées après 1945 (je fais une exception avec une œuvre de 1943 en introduction). Rappelons que Dallapiccola, après une phase modale et consonante, avait effectué au cours des années 1940 un pas décisif vers un langage atonal et vers la technique dodécaphonique, langage qui devint de plus en plus strictement sériel à partir du début des années 1950[5]. Sa production est en grande partie vocale (ou chorale) et le travail sur les timbres est souvent associé à un traitement mélodique de la voix. Il me semblait donc très utile aujourd’hui d’envisager un certain nombre de ces pièces alliant la ou les voix aux instruments (sans aborder l’opéra), ceci dans l’espoir d’ouvrir une perspective d’études sur le timbre composite des œuvres vocales et instrumentales, ce qui a peu été étudié jusqu’à présent de façon systématique.

J’ai remarqué chez Alain Galliari des propos tout à fait parallèles à mes recherches lorsqu’il parle des Six Trakl Lieder op. 14 de Webern : « Seul véritable point commun entre l’écriture instrumentale de cet op. 14 et celle des miniatures d’avant-guerre : l’impression paradoxale de se trouver en présence d’un « super-instrument », du fait de la texture serrée de la polyphonie et du croisement perpétuel des lignes, qui favorisent la perception globale au détriment de l’écoute individualisée des lignes. Cette perception paradoxale est encore accentuée par le caractère de la polyphonie instrumentale, qui accompagne moins le chant qu’elle ne l’entoure d’un environnement sonore toujours mouvant. »[6]

La présente étude se concentre principalement sur des œuvres vocales, sur ce « super-instrument » selon Galliari, avec quelques exceptions ici ou là en direction de l’orchestre (puisque les techniques y sont tout de même comparables par moments). Pour donner quelques repères dans le temps j’indique ci-dessous la liste des principales œuvres abordées, les effectifs et les années de composition :

  • Sex carmina Alcaei (1943, pour soprano et onze instruments) du cycle des Liriche greche

  • Goethe Lieder (1953, pour mezzo-soprano et trois clarinettes)

  • Cinque canti (1956, pour baryton et huit instruments)

  • Requiescant (1957-1958, pour chœur et orchestre)

  • Dialoghi (1959-1960, pour violoncelle et orchestre)

  • Three Questions with two answers (1962-63, pour orchestre)

  • Parole di San Paolo (1964, pour voix moyenne et ensemble instrumental)

  • Sicut umbra (1970, pour soprano et quatre groupes instrumentaux)

  • Commiato (1972, pour soprano et ensemble instrumental).

A travers ce choix d’œuvres le lecteur pourra ressentir une certaine évolution du compositeur : dans les années 1940 (dans cet article : les Sex carmina Alcaei) la voix domine encore nettement les instruments, son écriture est mélodique, relativement conjointe et encore assez chantante malgré le recours aux séries dodécaphoniques ; l’écriture est globalement encore souvent très consonante. Les années 1950 correspondent à une rigueur accrue des dimensions sérielles et du contrepoint (avec parfois une grande concentration sur des groupes de deux, trois ou quatre sons dans les parties instrumentales), une conduite des voix beaucoup plus disjointe qu’auparavant, et une accentuation de la complexité rythmique (le fameux « rythme flottant » dont parlait Dallapiccola). Dans les dernières œuvres, enfin, le langage s’assouplit sur plusieurs plans : la voix est traitée avec plus de diversité (notamment : voix parlée dans Parole di San Paolo, bouche à demi-fermée et « mormorato » dans Sicut Umbra, chant sans paroles dans deux des parties de Commiato (chant sur « Ah »), l’écriture des instruments est plus variée : avec tantôt une plus grande continuité dans le déroulement de la musique, tantôt davantage de séquences harmoniques tenues à plusieurs instruments, etc.

Il est certain que ces œuvres de Dallapiccola ne le hissent pas parmi les grands novateurs dans le traitement de la voix elle-même, ce que seront plutôt les générations suivantes à partir de Luciano Berio ou Luigi Nono en Italie, Dieter Schnebel, Mauricio Kagel, Hans Werner Henze et György Ligeti en Allemagne, Betsy Jolas, Gilbert Amy, Maurice Ohana, Georges Aperghis en France, George Crumb aux Etats-Unis. Il demeure un cas en marge de ces nouvelles tendances, comme son contemporain Bernd Alois Zimmermann en Allemagne. La chanteuse Valérie Philippin a d’ailleurs très bien exposé l’histoire et l’évolution de ces nouvelles techniques vocales dans le chapitre « Timbre » de son ouvrage La voix soliste contemporaine, et particulièrement dans le paragraphe « La voix instrumentale, imitant les instruments ou l’électronique »[7]. Dallapiccola échappe donc un peu à cette évolution vers des techniques nouvelles, mais la fusion qu’il opère entre les voix et les instruments demeure tout à fait significative, bien qu’elle soit située du côté d’une écriture relativement traditionnelle (ou du moins : courante depuis Schoenberg) et du traitement des textes poétiques (longuement analysé dans ma thèse et mon ouvrage sur le compositeur plutôt que du côté des tendances ouvrant la voix à l’improvisation, au corps, au théâtre.

Cet article aborde différents angles d’approche : d’un premier point très concentré sur le contrepoint et certains détails de l’écriture sérielle, je passe à un ensemble de remarques sur l’agencement et la perception des timbres au-delà de l’étude des combinatoires, j’enchaîne avec différentes observations sur le timbre et la forme, sur un groupe instrumental spécifique ; je recense ensuite quelques types de textures et j’approfondis finalement (dans le sixième point) l’analyse timbrique de la première partie de Commiato.

I Contrepoint, canons et timbre

Les exemples retenus dans cette première partie correspondent à des passages contrapuntiques de type canonique, car c'est en effet dans ces passages-là, semble-t-il, que Dallapiccola accorde la plus grande attention à la dimension du timbre pendant un certain nombre d’années.

I.1 Sex Carmina Alcaei (Six Chants d’Alcée)

Le cycle des Liriche greche, pour voix de femme et ensembles instrumentaux divers, constitue une première étape dans l'élaboration des jeux de timbres. Les Sex carmina Alcaei (1943), l'une des trois compositions qui composent ce cycle, révèlent en effet une certaine attention quant au traitement du timbre dans ce contexte vocal encore très mélodique dans la carrière du compositeur. L’œuvre est écrite pour soprano, flûte, hautbois, clarinette en si bémol, fagott, trompette, harpe, piano, violon, alto et violoncelle ; elle est dédiée à Anton Webern. Si les procédés mis en œuvre sont encore relativement simples, ils n'en demeurent pas moins efficaces et intéressants. Dans la seconde partie de cette œuvre (Canon perpetuus) qui obéit aux principes de l'écriture dodécaphonique, deux éléments principaux du contrepoint sont remarquables sur ce plan :

Ex. 1   Sex carmina Alcaei, partie II, pages 6, 7, 8 (les instruments transpositeurs sont notés dans leurs tonalités). © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

I.1.1 Le « Cantus firmus »

Ce terme peut paraître impropre, mais il caractérise assez bien le traitement en valeurs longues de la mélodie (rondes pointées ou valeurs voisines ; tempo de la blanche = 40) intégralement doublée par ailleurs à l'octave. Le renversement de la série dodécaphonique originale (énoncée ici par la partie vocale avec mi pour première note, c'est-à-dire à la tierce mineure de l'état fondamental) est joué par le piano, la harpe, le violon et l'alto (en harmoniques) soit simultanément, soit en alternance, avec, ici et là, des échos sur certains sons (voir la harpe répétant les quatre dernières notes du piano ; chiffre 4-5, p. 7-8 de la partition).

I.1.2 Le canon à trois parties instrumentales

Il constitue l'élément le plus perceptible à première écoute. Ce canon est fondé sur différentes transpositions de la série originale sous sa forme renversée : première entrée sur bémol, deuxième sur bécarre, troisième sur mi bémol. Chacun de ces exposés est répété trois fois (dans la même transposition) et une seule séquence rythmique détermine l'ensemble :

 

L'instrumentation de ce canon est aussi mobile que celle du « cantus firmus » et engendre un renouvellement constant du timbre, de la sonorité d'ensemble :

 

Tableau 1

 

L'emploi du canon chez Dallapiccola à cette période est souvent associé, comme ici, au principe de la Klangfarbenmelodie, et le travail sur le timbre repose souvent sur une idée directrice qui change toutefois d'une œuvre à l'autre et même, parfois, d'une partie d'une pièce à une autre. Cette corrélation entre l'écriture en canon et le timbre apparaît dans d'autres œuvres composées à la même époque, comme la troisième partie des Canti di prigionia, « Congedo di Savonarole », mes. 33-58, les première et cinquième parties des Cinque frammenti di Saffo, la première des Due liriche di Anacreonte ou encore les deuxième et troisième parties des Tre poemi. Dans la pièce qui nous occupe à présent, on pourrait dire que l'évolution se fait dans le sens d'un renouvellement de plus en plus lent des timbres pour parvenir en définitive à la stabilité. En effet, le dernier énoncé ne se fait dans chacune des parties qu'avec un seul instrument par partie et qu'une seule famille instrumentale - les cordes.  Cela confirme l'impression déjà ressentie à l'énoncé précédent, à savoir celle d'une certaine homogénéité de timbre.

Dans la cinquième partie de la même pièce (Canon duplex contrario motu), la dimension du timbre est étroitement associée à l'écriture, mais d'une autre manière : la forme ABA' souligne en particulier l'articulation des timbres dont la mobilité est plus prononcée dans les parties A et A' que dans la partie B (chiffres 20 à 25 de la partition), où s'installe une certaine stabilité. De même, on observe au début de cette cinquième partie un « découpage » des sujets et réponses du canon en petites unités de timbre ; ce découpage accentue encore davantage le renouvellement des timbres instrumentaux à l'intérieur du contrepoint, renouvellement qui devient ici de plus en plus rapide. A l'audition ou à la lecture de la partition de cette cinquième partie (jusqu'à l'entrée de la voix), il apparaît clairement que le schéma rythmique de ce canon (simple) est articulé selon quatre éléments de timbres (A B C D) aux couleurs spécifiques : 

 
 
 
 

Par leur caractère encore relativement naïf, ces recherches de timbre se situent à un stade intermédiaire de l'évolution générale du langage de Dallapiccola, comme je l’ai déjà indiqué.

I.2 Cinque Canti

Les années 1950 introduisent de nouvelles données et nous entrons dans un univers parfois plus austère qui s'éloigne de l'image d'un Dallapiccola « dodécaphoniste méditerranéen », souvent propagée par les commentateurs et critiques. Le 9 mars 1942, le compositeur fit la rencontre d'Anton Webern - rencontre décisive à bien des égards. Depuis 1935, l'œuvre du compositeur viennois ne cessait de l'intéresser. Il se rendit ainsi spécialement à Londres en 1938 pour assister à la création de Das Augenlicht. En 1943, cet intérêt devenait pour ainsi dire une fascination :

« Je me décide de dédier au maître les Sex carmina Alcaei que je lui présenterai lorsque la guerre sera finie, avec l'anxiété que connaît bien celui qui soumet une de ses œuvres au jugement de quelqu'un qui lui est tellement supérieur. »[8]

Dans le prolongement tout d'abord de la découverte de la musique de Webern, puis de la rencontre avec le compositeur lui-même, Dallapiccola s'engage dans la voie d'une rigueur accrue de l'écriture, vers une sorte de « fusion » des différents paramètres musicaux. Au cœur de cette nouvelle approche il y a encore (et toujours...) la dimension contrapuntique que le compositeur ne cesse d'approfondir. L'élément essentiel à cet égard demeure le canon, mais ce procédé technique perd parfois sa fonction première et devient alors uniquement - pour la perception du moins - un moyen structurel, comme c’était souvent le cas chez Webern.

Il peut toutefois être utile de préciser qu'harmonie et contrepoint sont parfois conçus de façon presque semblable quant à l'engendrement du détail de l'écriture à partir du projet sériel initial. Dans ces cas précis, le contrepoint apparaît simplement comme une « image déformée » de l'harmonie, laquelle semble primordiale dans le processus de composition[9]. Cette interpénétration n'est d'ailleurs pas la seule et ne fait que confirmer la dimension « globale », voire synthétique, de l'écriture musicale de Dallapiccola après 1950.

Le canon est sans nul doute le fondement du contrepoint de cette période, mais ses fonctions sont multiples. Sauf quelques rares exceptions, il n'est plus traité comme auparavant : le caractère clairement canonique des Sex carmina Alcaei disparaît progressivement des œuvres composées après 1950. Cette mutation s'accompagne par ailleurs d'une modification de l'écriture rythmique et du traitement de la série dodécaphonique. Précisons, par anticipation, que la série dodécaphonique est généralement « morcelée » en motifs de trois ou quatre sons et que le rythme obéit à des proportions « transposées » selon diverses unités de base. Ces éléments d'écriture apparaissent particulièrement bien dans le passage de Requiescant qui sera analysé plus loin. La fréquente segmentation de la série dodécaphonique, ces découpages en groupes de quelques sons, engendrent un nouveau type de contrepoint comparable à celui que l'on observe dans certaines œuvres d'Anton Webern, comme la Symphonie op. 21 ou le Concerto op. 24.

Le paramètre du timbre prend désormais une place primordiale parmi les éléments fondamentaux de l'évolution de l'écriture canonique. Le jeu des timbres complète pour ainsi dire le principe du canon dans l'élaboration des structures musicales. Quelques exemples empruntés au deuxième des Cinque canti illustreront ce rôle accru du timbre. Deux procédés retiennent ici l'attention : le « double canon à échanges », les « métamorphoses de timbres entre deux passages canoniques successifs ».

I.2.1 Double canon à échanges

En présence d'une combinaison de deux canons, chacun d'entre eux étant associé à des timbres instrumentaux précis, l'échange consiste à substituer certaines notes d'un canon (hauteur et timbre) par des notes (hauteur et timbre) empruntées à l'autre canon[10]. Ce procédé peut être rapproché de certains types d'écriture pratiqués ponctuellement par Schoenberg dans ses Variations op. 31 (dans la deuxième variation par exemple), mais il apparaît toutefois de façon plus systématique chez Dallapiccola. Dans le deuxième des Cinque canti, deux canons par mouvement contraire sont élaborés sur des séries dodécaphoniques « incomplètes » qui échangent mutuellement certains sons selon un rapport mettant respectivement en relation les sujets de chaque canon et les réponses (cf. ex. 2). Ces « échanges » se situent - il faut le préciser - aux moments où un son pourrait apparaître simultanément dans le sujet et dans sa réponse (par exemple mi puis entre l'alto et la flûte) et donc créer soit une polarité sur un unisson, soit une relation d'octave dans le contrepoint.

Exemple 2 : Cinque Canti, début de la deuxième partie. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

Dans la réduction schématique proposée à l'ex. 2, l'ambitus des instruments est limité à sa plus simple expression. On observera que dans le Canon 2 il n'y a, pour les notes centrales ( dièse et la bémol), qu'un transfert et non un échange (croisé) comme dans les autres cas. Sur cette réduction (ex. 3), les notes soumises à échange de hauteur et de timbre sont encerclées.

 

Exemple 3 : Cinque Canti, présentation simplifiée des deux canons du début de l’oeuvre.

La mise en œuvre de ce procédé tient presque du « tour de force » : les deux canons étant reliés par une diminution de moitié des valeurs rythmiques, Dallapiccola a travaillé sur l'élasticité des valeurs de silence pour faire coïncider verticalement ces « échanges ». L'exemple 2 montre en effet que les notes « manquantes » sont jouées par l'autre instrument, le plus souvent en même temps que la note qui précède, plus rarement en même temps que celle qui suit (voir par exemple, à la fin de la mesure 3, le la de l'alto joué en même temps que le fa dièse de la flûte). Le début de la deuxième pièce des Cinque canti ne se réduit pas à un simple jeu d'écriture. Le résultat sonore lui-même mérite de retenir notre attention. Il s'organise en effet un jeu subtil autour des timbres : plusieurs plans se chevauchent, ayant pour effet une mise en perspective des sonorités. En découvrant l'œuvre par l'écoute, l'auditeur distinguera tout d'abord les timbres par familles d'instruments, essentiellement les flûtes et les cordes - le piano et la harpe intervenant de manière extrêmement ponctuelle.

Une audition plus attentive, voire « très attentive », qui tiendra compte du canon et de son articulation rythmique fera apparaître des groupements mixtes d'instruments (alto-flûte en Sol, flûte-violoncelle). L'auditeur établira enfin - mais peut-être lui faudra-t-il, dans ce cas, l'aide de la partition - un troisième type de rapprochement (alto-flûte et violoncelle-flûte en sol), qui repose sur le procédé des échanges (cf. exemple 2) et qui contredit le précédent. Il s'agit bien là, pour le moins, d'un timbre composé avec une extrême minutie, et dont la richesse de tous ces détails échappe à l’audition !

I.2.2 Métamorphoses de timbres entre deux passages canoniques successifs

Nous illustrerons le phénomène de la métamorphose de timbres à partir de ce même extrait du deuxième des Cinque canti, en le considérant dans sa totalité (mes. 1-10). Cette analyse ne tiendra pas compte de la partie vocale. Celle-ci obéit en effet à d'autres types d'écriture favorisant la linéarité et s'oppose ainsi à la dispersion qui caractérise le matériau instrumental.

La comparaison de l'épisode canonique analysé plus haut (mes. 1-5) avec le suivant (mes. 6-10) est particulièrement instructive car ces deux épisodes présentent de nombreux points communs. Elle permet précisément de cerner l'une des méthodes de variation employées par Dallapiccola. On s'aperçoit en effet que la seconde section (mes. 6-10) reprend d'une part textuellement la structure du passage précédent (sauf transpositions à l'octave ou à la double octave) et, d'autre part, le même ordre d'apparition des deux canons (le premier débute sur la bémol - sol, le second sur la dièse - si). Sur le plan rythmique on observe également quelques similitudes : les quatre premiers sons de chaque partie présentent des schémas rythmiques proportionnellement identiques (à l'exception des silences).

Si les hauteurs et l'articulation rythmique ne subissent guère de modifications d'une section à l'autre, on observe en revanche que Dallapiccola, tout en conservant les cordes, la harpe et le piano, a remplacé, dans la seconde section, les flûtes par deux clarinettes. En modifiant les rapports de timbres propres à chaque canon, d'une section à l'autre, il procède ainsi à un renouvellement complet de la couleur instrumentale entre la section 1 et la section 2 :

 

Tableau 2

 

Ces modifications de timbre impliquent des changements de tessiture dans la section 2. Le nouvel « habillage » de timbres de cette texture contrapuntique s'accompagne en outre de modifications au niveau des échanges de sons. Cette comparaison des sections 1 et 2 souligne bien la précision accordée aux modifications de timbre ; on pourrait penser ici à l'effet visuel produit par la rotation d'un kaléidoscope.

I.3 Requiescant

L'ultime extension de cette « fusion » évoquée plus haut à propos des paramètres musicaux concerne paradoxalement des textures non ­canoniques mais « imprégnées » du principe du canon. Les premières mesures de Requiescant (1957/1958, cf. Exemple 5, voir la version dirigée par Hermann Scherchen : https://www.youtube.com/watch?v=nu5goF2s_Pw) exposent une structure contrapuntique très complexe où les hauteurs, les registres, les timbres et les durées obéissent à différents types d'organisation. Cette œuvre pour chœur mixte et orchestre fait partie des grandes « fresques » avec chœur que Dallapiccola avait inaugurées avec les Canti di prigionia (1938-1941) et poursuivi avec les Canti di liberazione (1951-1955). Le texte de cette première partie de Requiescant est emprunté à l'Évangile selon saint Matthieu (XI, 28). Les deux autres parties sont composées sur des textes d’Oscar Wilde et de James Joyce ; il s’agit d’ailleurs de la seule œuvre vocale de Dallapiccola fondée sur des textes anglais.

I.3.1 Hauteurs et registres

Deux constellations dodécaphoniques s'enchaînent selon une succession de huit cellules de trois sons dont chacune est constituée d'un son instrumental, d'un son vocal (doublé par un instrument dans la première constellation uniquement), et de nouveau d'un son instrumental. Les sons extrêmes de ces cellules sont en relation de seconde mineure (ou septième majeure). On observera en outre que la registration de ces secondes mineures va en s'élargissant tout au long du déroulement de cette section (d’une septième majeure au début on va jusqu’à une septième majeure redoublée à la double octave à la fin : de sol 1 à fa dièse 4) :

Exemple 4 : Requiescant, début de la partition et transcription schématique. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

I.3.2 Durées

L'orchestre et le chœur adoptent respectivement deux types d'organisation :

L'écriture du contrepoint orchestral articule des cellules de deux sons qui obéissent à une proportion de 1 : 2 appliquée à différentes durées : ces cellules sont jouées successivement par les instruments suivants :

               hautbois et clarinettes (mes. 1-2),

              violoncelles et contrebasses (mes. 1-2),

              contrebasson et tuba (mes. 2), etc. :

Le même principe est mis en œuvre dans l'écriture du chœur (mes. 1-3). Dans chaque pupitre vocal (à l'exception des soprani) la proportion 3 : 1 : 1 : 2 est appliquée à une seule note répétée (les durées effectives peuvent inclure un silence final). Les valeurs de référence dans la proportion (1) sont respectivement les suivantes :

            alto : noire doublement pointée

           ténor : noire liée à double croche

           basse : croche pointée

La suite des interventions du chœur ne repose pas, semble-t-il, sur une organisation aussi précise des durées.

I.3.3 Timbres

Bien qu'elles soient renouvelées de façon presque permanente, les associations d'instruments ne sont pas fortuites. On constate tout d'abord que la composition du groupe d'instruments qui joue le premier son d'une cellule est modifiée (en général par réduction) pour l'exécution du troisième (cf. tableau ci-dessous). De plus, la doublure instrumentale de la note centrale du chœur dans la première constellation fait apparaître des constantes (le basson et le cor anglais apparaissent deux fois chacun). Cette note centrale ne sera plus doublée par les instruments dans la seconde constellation.

 
 
 

Un examen plus attentif révèle encore d'autres rapprochements :

  • les groupements d'instruments de la première constellation qui correspondent aux premiers sons de chaque cellule, se retrouvent presque inchangés dans la seconde constellation, mais dans un ordre différent.

 

Tableau 3

 

D'une constellation à l'autre, la récurrence de la relation de seconde mineure déjà observée entre le premier et le troisième son est renforcée, à l'évidence, par des rappels de timbre qui renforcent la cohérence de cette structure. Ainsi, par exemple, le premier groupe instrumental du tableau ci-dessus (constellation I, groupe 1 : flûtes, hautbois et clarinettes) réapparaît avec de légères modifications pour les sons 1 et 3 du premier groupe de la constellation II.

I.4 Dialoghi, combinatoires généralisées

Les combinatoires sérielles généralisées étaient au centre des préoccupations de Dallapiccola en cette fin des années 1950, et je l’ai montré ailleurs[11] en détails à propos du second mouvement de ses Dialoghi pour violoncelle et orchestre (1959-1960). Dans le début de ce mouvement (aux mesures 57-60, pages 13-14 de la partition, voir l’Exemple 5 pour les trois premières mesures), la composition avec des structures complexes (groupes de trois sons transposés sur différentes hauteurs, et proportions rythmiques 1 : 2 : 1 ou 1 : 1 : 2 appliquées à ces groupes de trois sons) se fait ici en incluant l’orchestration au même titre que les autres paramètres[12].

 

Exemple 5 : Dialoghi, début du second mouvement. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

Étant donné que chaque son est joué simultanément par trois instruments de trois familles différentes (précisons que le groupe des trois premiers sons de la série dodécaphonique, mi-fa-ré, est joué/transposé sur quatre degrés successifs : do, si, sol, sol dièse et dans quatre registres différents), le compositeur a souhaité éviter de simples doublures et créer une véritable qualité sonore autour de ces doublures. Il a donné dans ce but un poids différent à chaque famille : les cordes ont les tenues les plus courtes, celles des bois sont deux fois plus longues, celles des cuivres quatre fois plus longues (voir par exemple le saxophone, le cor et le violon 2, mesure 57, à l’Exemple 5). Ce que l’on peut résumer de la manière suivante (les familles sont reproduites dans le tableau en fonction de leur présentation traditionnelle dans une partition d’orchestre) :

 

Tableau 4

 

Ce type de préoccupation montre bien que le compositeur s’engage certes dans une voie complexe de l’écriture, mais qu’il conserve toujours un contrôle musical dans sa façon de structurer les paramètres. L’étude de ce passage révèle aussi une instrumentation traitée en une polyphonie de quatre groupes de trois instruments jouant les mêmes sons, ce qui crée des couches de timbres bien spécifiques :

1 – saxophone – cor – violons 2

2 – hautbois – trompette – violons 1

3 – cor anglais – trombone – altos

4 – contrebasson – tuba – contrebasses

Le lien avec les groupements instrumentaux recherchés également par Anton Webern est évident, et il est intéressant d’évoquer à ce titre les souvenirs de Dallapiccola quant à sa rencontre avec le compositeur à Vienne en 1943 lorsqu’il citait une phrase très évocatrice de Webern :      

« Pour moi, désormais, un accord confié à trois trompettes ou quatre cors est inimaginable. »[13]

II Agencement et perception des timbres au-delà de l’étude des combinatoires

Après ces considérations de base liées au contrepoint qui montrent, je l'espère, le degré d'autonomie que revêt parfois le timbre dans l'écriture (et de nombreux autres exemples pourraient le confirmer dans les œuvres de cette période !), il me semble que la réflexion sur le timbre doit aussi englober certaines dimensions moins « structurelles », moins « rationnelles »  mais néanmoins très présentes dans les œuvres de la dernière période. J'aborderai maintenant des phénomènes plus audibles (les analyses précédentes ne me satisfont pas quant à la réalité perceptible du travail sur les timbres, bien qu'elles mettent en évidence un travail de détail extrêmement élaboré) en ouvrant quelques « pistes »  concrètes (sans prétendre à l'exhaustivité) pour tenter de cerner divers aspects de l'écriture des timbres, et surtout de la sensibilité de Dallapiccola aux timbres.

II.1 Relais instrumentaux

J'aimerais tout d'abord évoquer ce que l'on pourrait appeler les « relais instrumentaux« , c'est à dire l'alternance de différents timbres instrumentaux sur des éléments tenus (un son ou un accord), ou leur succession directe selon le même type d'écriture polyphonique. On remarque cette pratique dans quasiment toutes les œuvres de cette période, je n'en mentionnerai que quelques exemples.

II.1.1 « Relais » sur un seul son

Dans Three Questions with two answers (deuxième mouvement, mesures 35-45) un la bémol est joué par le trombone, puis le cor, puis la trompette, etc. selon une fréquence régulière de changement de timbre équivalente à la valeur de huit noires sauf en ce qui concerne le premier son :

 

Exemple 6 : Three Questions with two answers, mes. 35-45, pages 12 à 14. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

Dans Parole di San Paolo (1964)

Ici, aux mesures 7 et suivantes, un fa est joué par la clarinette, puis la flûte en sol, puis la flûte, la clarinette basse, etc., et cette même note revient beaucoup plus tard traitée d’une manière tout à fait comparable aux pages 32-35 et 40-42 de la partition... ; entre temps, un mi est aussi repris de la page 24 à la page 28 - mesures 57 et suivantes - par les deux clarinettes alternativement :

 

Exemple 7 : Parole di San Paolo, page 3, mesures 7 et suivantes. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission)

Dans Commiato (fin de la première partie et début de la deuxième partie - mesures 37-53) un la bémol est entonné par la voix et repris alternativement ou simultanément par les clarinettes en si bémol et en mi bémol ; on retrouve cette note à la fin de la cinquième partie où la voix et l’ensemble instrumental créent un crescendo très puissant sur ce la bémol, un peu à la manière de ce qu’avait fait Berg sur la note si à la fin de la deuxième scène de l’Acte III de Wozzeck.

II.1.2 « Relais » par groupes d'instruments, sur plusieurs notes simultanées

Ceci se présente dans Sicut umbra (début de la deuxième partie) : ici les alternances entre les cordes et les clarinettes sont très nettes de la mesure 10 à la mes. 15, après quoi elles s’atténuent) : 

Exemple 8 : Sicut umbra, mesure 10 et suivantes (début de la deuxième partie, pages 5 et 6 de la partition). © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

On observe aussi plusieurs cas dans Commiato : dans la deuxième partie aux mesures 53-64 où l'intervalle do dièse-sol est joué en tenues alternativement par le couple clarinette basse/basson et par le couple cor/trompette) ; dans les première et cinquième parties on note une alternance ou des coïncidences entre des accords tenus par les trois clarinettes d'une part, le basson, le cor et la trompette d'autre part, voir la section VI).

Cette notion de « relais » instrumental, dont j'emprunte le terme à Régis Authier (dans sa Thèse sur Edgard Varèse[14]) me semble particulièrement importante en tant que moyen expressif de la musique de Dallapiccola et recoupe à mon avis des préoccupations très actuelles de jeunes compositeurs, depuis les œuvres dites « spectrales » des années 1970 comme par exemple Mémoire-Érosion de Tristan Murail, 1976, jusqu'à de nombreuses pièces plus récentes  comme par exemple ce que l’on entend au début de O Versa pour piano et douze instruments - 1991 - du compositeur islandais Atli Ingólfsson[15].

II.2 Attaques et résonances

Cet autre aspect de l’écriture des timbres rejoint aussi les démarches de musiciens plus jeunes que Dallapiccola. Il s'agit précisément de plusieurs façons d'envisager un son ou un accord dans ce que l'on pourrait appeler son « enveloppe » (par analogie à l'acoustique). A plusieurs reprises on observe des attaques simultanées de plusieurs instruments dont certains ne tiennent pas leurs sons dans la durée : une partie des instruments est donc utilisée pour déterminer une certaine qualité de l'attaque générale du son, tandis que d'autres instruments fournissent aussi la tenue (résonance), à la manière de ce que Luciano Berio a également fait dans O King (1968, pour voix et cinq instruments). C’est ce que Moe Touizrar et Stephen McAdams nomment « Résonance timbrale » lorsqu’ils considèrent « une identité timbrale alternative » qui « remplit la fonction d’allongement et de coloration du timbre »[16] : dans le cas qu’ils considèrent, The Angel of Death de Roger Reynolds, il s’agit précisément du rapport entre l’écriture pianistique à deux voix et l’amplification/prolongation de certains instruments de l’orchestre. Chez Dallapiccola par contre, attaques et résonances sont peut-être plus difficilement dissociables à l’écoute, car les attaques sont généralement assurées par des instruments moins percussifs et moins puissants que le piano.

Dans le passage de Parole di San Paolo cité précédemment (voir l’Exemple 7, troisième page de la partition, mesure 7 et suivantes), on voit bien ce procédé dès la mesure 8 où la tenue de flûte est « amorcée » aussi par le vibraphone qui ne tient néanmoins pas cette note au-delà d'une simple noire, et il en est de même à la mesure suivante entre la clarinette basse et le célesta.

Dans Commiato (deuxième partie, mes. 42 et suivantes[17]) la harpe et le célesta participent à l'attaque des accords tenus par les instruments à vent et les cordes dans un contexte particulièrement intéressant du point de vue de l’orchestration :

Exemple 9, Commiato (partie II), pages 11 et 12. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

Dans ce passage on observe une étroite relation entre l’harmonie, le rythme et l’orchestration. Après la première phrase de flûte, au moment du premier « relais » instrumental sur la pédale de la bémol (la petite clarinette prend le relais de la clarinette en si bémol au moment même où la flûte termine sa phrase), Dallapiccola compose à partir de la mesure 42 une texture très subtile qui est répétée ensuite à 45 avec quelques variations. On remarque ici un déroulement en quatre étapes (résumées ci-dessous) : une amorce (trémolos des cordes), un accord du célesta, un accord joué par tous les instruments et tenu par certains d’entre eux), un motif en notes répétées au xylorimba (toute la séquence étant traversée par la pédale sur la bémol 4) :

Première étape (mes. 40-46) :

Mélodie de la flûte (mes. 40-44) avec pédale de la bémol 4, puis :

1-    Trémolos des cordes (sans la contrebasse, mes. 42), six hauteurs

2-    Les six mêmes hauteurs sous forme verticale (accord 1) jouées par le célesta (mes. 42)

3-    Accord 2 de six sons (tenu), comprenant le la bémol de la pédale (attaque incluant le célesta et la harpe), de la fin de la mes. 42 à 44)

4-    Motif rythmique (notes répétées) du xylorimba sur fa (attaqué 3 fois, puis 2 fois, puis comme une seule note) avec des décompositions rythmiques différentes (mes. 43).

On peut voir cette succession d’éléments dans la partition (pages 11-12, Exemple 9), et les relations entre eux semblent très étroites :

  • la première phrase de la flûte finit sur un mi qui fonctionne comme une note-pivot, dont on entend des échos dans les trémolos des cordes (voir l’alto) et dans l’accord de célesta ;

  • ces trémolos des cordes apparaissent souvent après un changement : après la fin de la mélodie de la flûte (mesures 42 et 49), et après le changement d’instrument pour la pédale (également mesure 42, puis mesures 45 et 49).

  • Les harmonies des cordes en trémolos sont pour ainsi dire « synthétisées » par le célesta dans la continuité immédiate

  • A la fin de la mesure 42 on observe une répartition des doublures instrumentales dans l’accord de six sons entre d’une part les cordes et le célesta, d’autre part les instruments à vent et la harpe

  • Le fa du xylorimba (mes. 43) est aussi compris dans l’accord tenu de six sons (il est joué par l’alto en harmoniques)

  • Tous ces faits contribuent à donner l’impression d’une organisation très précise de la texture, avec une sensibilité particulière du compositeur pour les attaques, résonances et pour le son en général.

On retrouve cette même texture à partir de la mesure 45, et ce passage réapparaît de façon variée plus tard, à la fin de la partie II (pages 24-25, à partir de la mesure 86), mais tout est alors joué ensemble, et les instruments sont différents, de même que les accords (de quatre notes cette fois, et non six).

Un cas comparable mais légèrement différent peut être observé dans Three Questions with two answers (voir Exemple 6, pages 22-24) à propos du la bémol déjà mentionné précédemment : deux instruments jouent ici ce son d'une façon complémentaire : l'un attaque la note un tout petit peu avant l'autre et s'arrête un peu après l'autre (voir les couples violoncelle/xylo, violon 2/célesta,  puis harpe/violon1, vibraphone/violoncelle) ; on notera que dans ce passage particulièrement intéressant pour le jeu sur les transitoires d'attaques et l'« entretien » interne du son (fourni par les trémolos) se trouve - comme une extension vers le bruit peut-être ? - un couple alto/caisse claire à la mesure 40. Je pense qu'il peut être utile de mentionner que ces paires d'instruments complémentaires agissent toujours un peu avant un changement d'instrument dans la ligne générale du « relais » dont j'ai parlé auparavant ; ces pages me font personnellement penser à certains passages de Diadèmes - 1986 - de Marc-André Dalbavie pour alto et ensemble instrumental[18].

II.3 Fusion voix/instruments

Les rapports entre timbres vocaux et timbres instrumentaux sont aussi très intéressants chez Dallapiccola, comme nous l’avons déjà montré dans le point I de cet article, et notamment dans I.3.3 à propos de Requiescant. A plusieurs reprises on peut remarquer des rapprochements ou des sortes de « concordances » entre voix et instruments qui renvoient d’ailleurs à des tendances déjà anciennes chez ce compositeur, perceptibles notamment depuis les Canti di Prigionia (1938-1941).

Plusieurs passages dans les œuvres présentent une sorte d'intégration du timbre de la voix (ou des voix) au contexte instrumental, à la fois dans les pièces pour une voix et instruments ou orchestre et dans celles écrites pour chœur et orchestre. L’exemple des Goethe Lieder est à petite échelle un cas très représentatif des combinaisons de timbre entre une voix de mezzo-soprano et trois clarinettes (respectivement : petite clarinette en mib, clarinette en sib, clarinette basse). Dans cette œuvre au caractère contrapuntique très affirmé (on pense aux Cinq Canons opus 16 d’Anton Webern), la voix fusionne par moments d’une façon très subtile avec les instruments, déjà par le fait qu’elle n’est pas forcément au-dessus des clarinettes (mais souvent au centre de la sonorité), et dans les moments de mixture réelle, où elle n’a plus vraiment de paroles et où le compositeur demande un chant à bouche à demi-fermée, comme ici à la fin du premier Lied :

 

Exemple 10 : Goethe Lieder, fin du premier Lied (de haut en bas : voix, clarinette en mi bémol, clarinette en si bémol, clarinette basse ; toutes écrites en sons réels). © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

De nombreux passages des œuvres avec chœur révèlent par ailleurs une sensibilité particulière du compositeur aux associations des timbres vocaux et instrumentaux ; ces sortes de « mixtures » subtiles m'incitent à penser que ce type de préoccupation a pu influencer Luigi Nono entre autres dans son œuvre Il Canto Sospeso (1955-56) et qu'une étude comparative de cette pièce et des Canti di Liberazione (1951-55) serait instructive[19].

III Timbre et forme

La dimension formelle des timbres ou plus simplement des effectifs instrumentaux a souvent été mise en évidence chez Dallapiccola, et il convient de rappeler ici la disposition symétrique des effectifs instrumentaux dans les Goethe Lieder (qui n'est pas sans rappeler celle des Cinq canons opus 16  d'Anton Webern). Cette orientation formelle de Dallapiccola vers des structures symétriques se confirme ensuite notamment dans le Concerto per la notte di Natale dell'anno 1956 où les cinq parties sont partagées entre des épisodes purement instrumentaux (1, 3 et 5) et des passages avec voix (2 et 4), l'ensemble formant un édifice formel symétrique (voir aussi Ulisse et ses deux épisodes symphoniques répartis respectivement en deuxième et avant-dernière positions).

Dans le Concerto per la notte di Natale dell'anno 1956, la notion de symétrie se traduit encore à un niveau inférieur par exemple dans la troisième partie où les cinq premières mesures sont reprises en mouvement rétrograde à la fin avec les mêmes instruments (on pense au troisième mouvement de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók), et dans la cinquième partie où il en va de même avec les treize premières mesures.

Commiato met aussi en avant une symétrie de cette répartition entre le vocal et l’instrumental, mais avec une nuance supplémentaire : les mouvements 1 et 5 n'utilisent qu'un texte limité (« Ah »), la troisième partie utilise un texte, les parties 2 et 4 sont instrumentales. La gradation devient ici plus fine.

Un autre type de phénomène formel lié au timbre se manifeste dans Sicut Umbra où la densité de l'effectif vocal/instrumental va en s'accroissant :

  •      Pièce 1 : groupe 1 (flûtes)

  •      Pièce 2 : voix, groupe 2 (clarinettes) et groupe 3 (cordes)

  •      Pièce 3 : voix, groupes 1, 2, 3

  •      Pièce 4 : voix, groupes 1, 2, 3 et 4 (harpe, célesta, vibraphone).

Ainsi, la « notion de timbre en tant que délinéateur de forme »[19] apparaît chez ce compositeur dans une filiation historique et une proximité stylistique assez complexe, entre Berg, Webern, Bartók, Varèse et Zimmermann.

IV Un groupe instrumental spécifique

Un dernier point mérite encore d'être soulevé à propos du rôle structurel et expressif particulier du groupe d'instruments composé de la harpe, du célesta et du vibraphone (voire aussi du piano parfois) dans les œuvres à effectif moyen ou plus important. Le traitement de ces instruments après 1950 chez Dallapiccola est presque une « marque » de l'auteur qui en fait un groupe bien spécifique. Dans Parole di San Paolo comme dans les Dialoghi ces instruments ressortent quasiment comme une famille à part entière (dans le troisième mouvement de cette dernière œuvre on observe en outre un rôle très important attribué à la harpe et au célesta seuls). Dans Sicut umbra on voit même que Dallapiccola a formé l'un de ses quatre groupes (d'après ses propres indications dans la préface de la partition) avec les trois instruments mentionnés et qu'il les considère vraiment avec une attention particulière puisque les « solos » du quatrième mouvement leur sont confiés (une étude plus détaillée pourrait montrer la manière bien précise dont ces instruments sont parfois associés aux autres ; voir par exemple la page 56 où chacun d'entre eux s'intègre à un accord d'une autre famille instrumentale : cordes, flûtes, clarinettes).

Un parallèle vient à l’esprit à propos de ce type de groupement instrumental chez Olivier Messiaen dans sa Turangalîla-Symphonie (1946-1948). Messiaen expliquait ceci dans son Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie (Tome II, éditions Leduc, 1995, p. 154) : « L’ensemble : timbres, célesta, vibraphone uni au Piano solo et aux percussions métalliques, constitue un groupe à part, dont la sonorité et le rôle sont très semblables à ceux du Gamelang de Bali. […] Au cours de l’analyse de Turangalîla, chaque fois que jeu de timbres, célesta, vibraphone, Piano solo, s’uniront pour une musique analogue, je les désignerai par un seul mot : gamelang ». Notons au passage que Bernd Alois Zimmermann a également privilégié ce genre de groupements d’instruments par exemple dans son Concerto pour violoncelle et orchestre « en forme de Pas de Trois » de 1965-66 (cymbalum, harmonica de verre, harpe et percussions à la fin du premier mouvement ; les mêmes instruments avec le piano, le violoncelle solo, la contrebasse électrique et le saxophone soprano au début du cinquième, intitulé « Blues e Coda »), et rappelons que  Henri Dutilleux a également mis en évidence un groupe instrumental du même type dans son Concerto pour violon et orchestre « L’arbre des songes » (créé en 1985) : « … un groupe d’instruments constitue un bloc homogène dont le rôle est organique. Il s’agit d’instruments de la famille des claviers – jeu de timbres, vibraphone, piano/célesta – auxquels s’ajoutent la harpe et parfois les crotales, tous instruments traités en percussion « tintante ». » (notice de la partition Schott ED 7434, 1988).

V Propositions pour une analyse auditive (écoute) en « textures »

Une mise en relation des qualités de timbre avec d'autres données de l'écriture permet de faire ressortir des caractères musicaux distincts dont la succession plus ou moins contrastée fournit selon moi la véritable dialectique - le « carcan » dynamique - des pièces de Dallapiccola. Pour être plus précis, je dirais que certains « gestes » musicaux sont reconnaissables aussi par leurs composantes de timbre, c'est à dire que la dimension des « couleurs » instrumentales-vocales les définit de façon importante. Il me semble utile ainsi de dégager des textures musicales constituées par la conjonction du timbre et d'autres composantes. Cette façon de voir les dernières œuvres de Luigi Dallapiccola ne sera qu'esquissée ici, car elle demanderait des développements (notamment pour définir précisément cette notion de texture dans les cas abordés) dépassant largement l’espace de cet article ; je donnerai néanmoins trois exemples de textures différentes avec leurs caractéristiques grossières (je recommande d’écouter ces passages sans avoir forcément recours à la partition) qui peuvent déboucher ultérieurement sur une compréhension plus aisée de certaines articulations formelles et musicales à une plus grande échelle.

V.1 Texture agitée, énergique, (voix et ensemble de 17 instruments)

Comme premier type j'ai choisi ce type de textures quasi-dramatiques, si fréquentes chez Dallapiccola depuis longtemps, aussi dans ses opéras : la deuxième partie, « Primo Inno », du Concerto per la notte di Natale dell'anno 1956, version Valarie Lamoree, soprano ; Orchestra of Our Time, direttore Joel Thome, de 3’48 à 5’34) me semble très représentative par certaines caractéristiques que je résumerais ainsi pour son début :

 
 
  • tempo rapide et écriture dense mais discontinue du point de vue des timbres : la voix parcourt divers registres parfois selon de grands intervalles (ambitus de la bémol 2 à do 5) et des rythmes très changeants ; les instruments jouent souvent des groupes de trois à six sons très disjoints - formés de grands intervalles - espacés par des silences et selon des rythmes souvent complexes et de fréquents changements de métrique  ; seuls certains instruments ont une conduite plus linéaire sur des valeurs plus longues (au début : cor et vibraphone soutenus par l’alto, puis trompette à 10)

  • nuances fortes, indication générale de caractère « Animatissimo ;  giubilante », accents très fréquents, profils assez tranchants des petits motifs mélodiques en raison des registres relativement aigus des instruments à vent (on remarque par exemple qu'à un certain moment la voix chante les sons les plus graves) et des doublures par groupes de trois instruments dans les passages les plus polyphoniques (au début : trompette-célesta-violon 1).

Considérons de façon plus précise le début de cette deuxième partie (pages 9 et 10 de la partition). Ce contexte instrumental rappelle Webern, avec toutefois une énergie rythmique très prononcée. De vigoureux accents donnent la sensation d’une mesure à 3/2 pendant les quatre premières mesures, mais on perçoit une richesse du contrepoint, des rythmes, articulations et surtout de l’orchestration. On pourrait vraiment parler ici de mixtures de timbres par la rencontre et le tuilage de plusieurs couches faisant appel à plusieurs pupitres de l’ensemble.

On observe ici (mais c’est difficile à percevoir à l’écoute) que les doublures changent de façon tuilée, comme le montre l’exemple suivant :

Ex 11 : Concerto per la notte di Natale dell'anno 1956, seconde partie, pages 9 et 10 de la partition. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

Une texture assez comparable est perceptible dans Parole di San Paolo, à partir de la mesure 22 (page 8 de la partition), de 1’39 à 2’12.

 
 

V.2 Texture aux profils timbriques estompés (voix, trois flûtes, trois clarinettes et trio à cordes)

En second lieu je mentionnerai (sans extrait de partition) cette catégorie de texture très changeante dans sa définition timbrique, et telle qu'elle apparaît dans la troisième partie de Sicut umbra (mesures 49-96 : de 3’35 à 4’40, version de Sybil Michelow, mezzosoprano, London Sinfonietta, direction Gary Bertini).

 
 

Ce passage de tempo rapide fait apparaître :

  • des changements rapides et presque imperceptibles de combinaisons instrumentales-vocales réalisés par des « tuilages » très fins dans l'enchaînement ou la superposition de couleurs voisines (flûtes-clarinettes, puis voix-flûtes).

  • une continuité rythmique reposant néanmoins sur des subdivisions complexes (5, 7) et des superpositions également complexes (7 sur 2, 7 sur 3, 7 sur 5)

  • un arrière-plan de cordes (au début surtout) apparemment stable, mais très changeant quant à ses modes de jeu (pizz. Bartók, pizz. ordinaire, arco « sul tasto », jeu ordinaire, « tasto alla punta », etc.) et irrégulier rythmiquement malgré sa fausse apparence de pulsation régulière.

  • un jeu subtil mais non-systématique de mouvements contraires entre la voix et les instruments ou entre les instruments eux-mêmes.

Ces caractéristiques forment une unité générale impalpable, très fluide, quasi « aérienne » qui est pour ainsi dire perturbée à partir d'un certain moment (mes. 85, à 4’10) par une longue tenue sur la bémol (avec « relais instrumental ») puis par des sortes d' « échos » entre certains instruments (flûte-violon, mes. 94-96), la ramenant à des choses plus concrètes et perceptibles.

V.3 Texture fine à plusieurs dimensions (orchestre)

Ce troisième cas peut être illustré par un extrait du second mouvement de Three Questions with two answers (pages 12-14 de la partition, de 2’55 à 3’27, version de Gianandrea Noseda à la tête du BBC Philharmonic) que j'ai déjà mentionné lors de mon exemple 6.

 
 

Comme nous l'avons déjà vu, cet extrait expose un « son entretenu » (la bémol) par relais instrumentaux et de petites « amorces » réalisées en trémolos par des couples instrumentaux sur ce même son avant chaque « relais ». Ces deux niveaux très proches l'un de l'autre sont superposés à une mélodie de la flûte de caractère très doux mais sur des valeurs rythmiques toujours différentes, empêchant quasiment le repérage de la pulsation. Je dirais qu'il s'agit ici d'une texture impalpable dont l'élément mélodique relativement simple est mis en avant dans un contexte instrumental des plus raffinés. Les changements de couleurs sont toutefois moins rapides que dans le cas précédent, et l'on ressent plutôt une impression de stabilité, due sans doute aussi à la permanence de la flûte. 

VI Groupement segmental et harmonisation instrumentale : Commiato (première partie)

 
 

VI.1 Forme musicale et profils harmonico-timbriques

Dans l’article déjà cité (note 3) de Moe Touizrar et Stephen McAdams j’ai trouvé certaines pistes qui semblent très intéressantes pour approcher quelques aspects de l’écriture de Dallapiccola selon des critères observés par ces deux auteurs chez Roger Reynolds, ceci pour rejoindre des arguments déjà formulés sur le timbre dans le contexte général du projet ACTOR. Je retiens particulièrement l’idée de « délimitation timbrale des frontières formelles », le fait de « juxtaposer les matériaux en utilisant des textures et des gestes kaléidoscopiques »[21], et plus loin dans l’article : « l’harmonisation instrumentale subtilement modulante des accords, avec quelques notes qui persistent dans l’accord suivant ».[22] Je partirai d’un extrait de la première partie de Commiato  pour faire observer certains de ces critères dans une musique où voix et instruments sont étroitement associés (puisque dans cette première partie de l’œuvre, la voix de soprano ne chante que sur « Ah ! »). Il est évident que l’harmonie et le rythme participent aussi à cette « délimitation des frontières formelles », mais le timbre créé par l’écriture vocale et instrumentale très spécifique en est une composante importante.

Voyons tout d’abord le découpage grossier de la première partie de l’œuvre : elle est principalement basée sur trois types de matériaux qui sont relativement indépendants les uns des autres :

  • tenue (pédale) sur la bémol 4, chantée au début et à la fin de cette partie I

  • suite de quatre accords de six sons (ou plus parfois), jouée comme de grands blocs homorythmiques scandés et ff au début de la pièce aux mesures 1-6 :

Exemple 12 : Commiato : accords/blocs du début, réduits à leurs hauteurs (sans les rythmes).

 
  • quatre accords de trois sons présentés d’une façon plus étagée entre les différents instruments (avec répétitions rapides de l’accord au début et répétitions rapides finales en valeurs courtes avant l’apparition du suivant, voir mesures 7 et 10) tels qu’ils apparaissent de façon réduite ci-dessous, avec leurs relations à la série de l’œuvre dans la portée supérieure :

 

Exemple 13 : Commiato, les quatre accords de trois sons joués de la mesure 6 à 32 avec leurs relations à la série de l’oeuvre.

Ces trois éléments alternent d’une certaine façon et créent ainsi un son particulier avec la voix. Si nous nommons sections A celles des blocs (de l’Exemple 12) et sections B celles des accords de trois sons (de l’Exemple 13), nous pouvons considérer les éléments A comme des sortes de « piliers » formels : ils soutiennent d’une part le la bémol chanté au début et à la fin de la première partie (sections A1 et A3, voir l’exemple 14), et d’autre part la section A 2 est, comme l’a remarqué Rosemary Brown, « une sorte de bref interlude instrumental central»[23]. Cela signifie aussi que la plupart des passages de vocalises de la chanteuse sont soutenus par les sections B. Le diagramme suivant montre l’ensemble de la forme de cette première partie dont je ne détaillerai que les sections A1 et B1 :

 Example 14 : Commiato (Partie I) : forme générale avec les composantes internes.

 

On peut voir ici une sorte de continuité entre les éléments : le premier accord de trois sons de la fin de la mesure 6 (trois clarinettes) était déjà compris dans le dernier accord de six sons  (mes 4-6). En écoutant la musique, on peut remarquer que les idées rythmiques de A1 (accords répétés) reviennent à la fois dans la partie vocale plus tard (au moins pour les subdivisions rythmiques de quintolets et septolets), et, de façon plus perceptible, dans les sections B aux cordes.

Exemple 15: Commiato (Partie I), pages 1 à 3 de la partition (les clarinettes et le cor ne sont pas transposés). © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

VI.2 Le son des blocs (sections A)

Dans  A1 and A2 nous voyons (et ressentons) aussi que toutes les notes des accords sont jouées par les instruments à vent et par les cordes,  cela signifie avec des doublures, comme on peut s’en rendre compte ci-dessous à l’exemple 16 pour les quatre accords de A1 (du grave à l’aigu pour chaque accord) :

Exemple 16 : Commiato, doublures dans les accords du début.

 

Cette répartition des doublures instrumentales dans A1 est particulièrement intéressante : puisque les quatre accords ne sont pas enchaînés selon des critères communs de l’harmonie tonale, et qu’au contraire leurs enchaînements et leurs structures internes présentent une certaine irrégularité par rapport aux différents registres, les doublures ne peuvent pas être constantes pour des raisons liées aux tessitures des différents instruments : on voit ainsi que le timbre interne de ces accords est toujours un peu différent en raison de ces doublures légèrement changeantes. Le fait que les cordes jouent souvent des double-cordes enrichit encore cette question timbrique, car l’une des deux notes est doublée par un instrument à vent, l’autre par un autre instrument. J’ai signalé dans ce tableau les doublures qui demeurent les mêmes d’un accord à l’autre ou qui reviennent après un ou deux accords, et l’on voit que ces changements de timbre sont très subtils, et très difficiles à identifier précisément à l’écoute, mais qu’ils participent ici à une richesse certaine de la sonorité de l’ensemble. On notera aussi sur la partition (Exemple 15 ci-dessus) que les trois premiers accords, soutenant la tenue de la voix sur sol dièse, sont scandés en valeurs brèves répétées (5, puis 3, puis 2 attaques selon des subdivisions différentes à chaque fois) que l’on retrouvera d’ailleurs dans les parties de cordes et de la harpe dans B, contrairement au quatrième accord qui est tenu et qui fait la transition avec la partie B par les trois sons bémol-sol-do tenus mesure 6 après l’arrêt des trois autres, et repris ensuite dès la mesure 7.

 

On peut remarquer aussi que le dernier accord de chaque groupe de quatre accords (dans les sections A) fait apparaître un ou deux instruments nouveaux (piano dans A1, piano et xylorimba dans A2). Dans A 3 le « nouvel » instrument (xylorimba) n’apparaît cependant que de façon décalée, dans la brève Coda constituée d’intervalles verticaux.

J’ajouterai encore que la harpe est présente dans les sections B (avec les cordes), mais jamais dans les sections A ; cette sorte de répartition des rôles des instruments étant très commune chez Dallapiccola.

VI.3 L’harmonisation instrumentale et la caractérisation rythmico-timbrale dans les sections B

J’emprunte ici cette expression d’harmonisation instrumentale à Touirzrar et McAdams lorsqu’ils évoquent la Klangfarbenmelodie de type schoenbergien chez Reynolds[24]. Il est intéressant d’observer ici toutes les relations entre les accords et les autres composantes musicales, ainsi que les échanges entre les instruments et la voix. Je citerai à nouveau Rosemary Brown lorsqu’elle parle des accords B, qu’elle considère comme des pédales harmoniques : « Chaque pédale est soutenue par trois instruments à vent et définie rythmiquement deux fois par les interjections des cordes »[25], c’est ce que j’expliquais avant l’Exemple 13 précédemment. Cela signifie que les instruments à vent jouent les accords tenus, alors que les cordes et la harpe jouent, avant eux et après eux, les mêmes accords répétés rapidement, ainsi qu’on peut le voir à l’Exemple 15 ci-dessus (voir les pages 2 et 3 de la partition, à partir de la mes. 7).

 Nous pourrions parler ici de l’« envelope » de ces pédales, car elles sont très particulières du point de vue du son, apparaissant toujours de façon très proche des débuts et fins des interventions de la voix. Le schéma suivant montre plus précisément comment ces éléments différents sont combinés dans B1:

Example 17 : Commiato, partie I, section B1, reduction schématique.

 

Effectivement on peut considérer que les notes répétées des cordes et de la harpe fonctionnent tout d’abord comme un signal qui « lance » (en 7:6)  l’accord des clarinettes à la mesure 7[26], puis qui marque la fin (en 5 :4) de cet accord, avant la brève césure et le début de l’accord 2 (fagott, trompette et cor) à la mesure 10 où l’accord (comme plus tard à la mesure 12) est synchronisé avec l’entrée de la voix.

 

Dans la section B2 (qui commence mes. 20, voir l’Exemple 18, et la réduction de l’Exemple 19), la structure est un peu différente, avec à deux reprises des attaques brèves et percussives (pizz Bartók) aux cordes (mes. 24 et 28).

Exemple 18: Commiato, p. 5-6-7. © Sugarmusic S.p.A. - Edizioni Suvini Zerboni, Milano (by kind permission).

En comparant attentivement les sections B1 et B2 il ressort que dans B2 les « signaux » des cordes sont joués pendant les accords tenus des instruments à vent, et non avant ou après. Ces interventions des cordes et de la harpe sont différentes pour chacun des quatre accords (voir les exemples 17 et 19). On voit aussi sur l’Exemple 19 ci-dessous que le compositeur soigne les détails de l’instrumentation dans ce passage où chaque séquence est séparée de la suivante par un bref silence :

  • pour le début de l’accord n°3 tenu (qui provient du grand accord précédent dans A2, comme une sorte de résonance, d’où notre flèche sur le schéma) seules les cordes sont présentes, elles attaquent quasiment en même temps que la voix (un demi-soupir plus tard), puis elles sont rejointes par la harpe, mais avec l’indication doppia corda pour le violon (un son joué sur deux cordes différentes simultanément, ce qui est assez intéressant du point de vue du timbre) ; dans ce passage l’accord se termine avec la voix après le deuxième signal des cordes et de la harpe en notes répétées ;

  • pour la première tenue de l’accord n°4 (fin de la mesure 24, trompette, cor et basson), parfaitement synchrone entre la voix et tous les instruments en présence, la texture est un peu différente : d’une part les cordes jouent tout d’abord un pizz Bartók avant d’énoncer le premier signal en notes répétées en 5 : 4 (rythme que la ligne vocale reprend deux fois un peu plus tard sur des petites séquences mélodiques) puis de clore par le signal en 7 : 6 ;

  • la deuxième tenue de cet accord n°4 (fin de la mesure 28), toujours assurée par les mêmes instruments, est plus simple : une seule attaque (avec un pizz Bartók des cordes) et une séquence de la voix qui semble développer un peu ce qui précédait ;

  • la troisième tenue de l’accord n°4 (fin de la mesure 32, tutti) réunit la voix et les mêmes instruments sur une simple tenue : les cordes jouent « sul ponticello » en trémolo, et les trois instruments à vent ont un sfz. Tous s’arrêtent en même temps.

Exemple 19: Commiato, B2 Section, réduction schématique.

 

Conclusion

J’ai parlé essentiellement d’œuvres pour voix et ensembles instrumentaux ou orchestre, et il me semble que dans ce cadre particulier Dallapiccola a développé un « son » original, et une approche vraiment personnelle. La voix et les instruments forment des textures très spécifiques, avec ou sans texte poétique, comme nous l’avons vu. Il est donc très important pour les interprètes et les chefs d’orchestre de penser à cette homogénéité entre voix et instruments, qui provient de la filiation Schoenberg (Pierrot Lunaire)-Webern surtout. Le son de ces œuvres est donc fortement tributaire de l’interprétation, comme chez d’autres compositeurs du XXe siècle d’ailleurs, tout d’abord du point de vue du style vocal des chanteurs et chanteuses (ou des chœurs). Il est clair que Dallapiccola, dans les œuvres abordées ici, ne visait pas une écriture de mélodie accompagnée dans la tradition de la mélodie ou du Lied, mais qu’il s’inscrivait beaucoup plus dans la descendance de Webern du point de vue du mélange entre voix et instruments. Lorsqu’on écoute l’ensemble des enregistrements anciens ou récents de ses œuvres, une partie importante des chanteurs et chanteuses vibre trop, à mon sens, au vu de ce son spécifique que cherchait sans doute Dallapiccola. Évidemment ces questions sont très subjectives, et certains auditeurs préféreront la dimension « lyrique » de certaines voix. Personnellement je pense que les voix plus droites, au vibrato plus limité, sont plus adaptées à ce genre de musique et se fondent mieux à leur environnement instrumental ou orchestral, car on peut considérer que cette musique échappe à la tradition du Bel Canto italien. Cette question est certes très sensible pour les interprètes d’aujourd’hui, et très peu de réflexions de chanteurs-chanteuses ont été publiées ou enregistrées sur ces œuvres de Dallapiccola. C’est donc à ces réflexions qu’incite cet article, car à mon sens on ne peut pas chanter cette musique comme du Puccini ou du Verdi, même si la langue est souvent la même. La chanteuse et pédagogue Valérie Philippin a très bien souligné les mutations qui s’opèrent dans la musique vocale après 1950 :

« Une autre utilisation de la voix, au-delà des canons classiques, demande avant tout un élargissement des références sensorielles et une volonté d’explorer des terrains expressifs vierges. »[27]  Elle parle aussi d’«imitation des sonorités instrumentales ou électroniques », de « variations contrôlées du vibrato du son droit aux plus amples ondulations »[28], et ceci devrait inciter les interprètes à trouver des solutions adéquates dans ce répertoire très spécifique des œuvres vocales de Dallapiccola. Je nommerai ici quelques chanteuses particulièrement intéressantes selon moi dans l’état d’esprit qui était le mien pour ces recherches sur le timbre : Valarie Lamoree dans son enregistrement du Concerto per la notte di Natale dell'anno 1956, Cristina Zavalloni dans Parole di San Paolo, Sibyl Michelow dans Sicut Umbra et Dorothy Dorow dans Commiato.

Du point de vue de l'interprétation instrumentale de ces musiques, une remarque s’impose aussi :  le son du vibraphone « ancienne façon » (c'est à dire avec le vibrato créé par le moteur électrique) avait été développé par certains grands jazzmen puis récupéré pendant plusieurs décennies comme « musique de supermarché », et il est très courant désormais de jouer l'instrument sans cet artifice daté, voire désuet. Je pense donc que, dans un souci d'équilibre de ces timbres instrumentaux très fins évoqués au point IV (célesta, harpe, etc.), les chefs d'orchestre devraient opter plus souvent pour le son « droit » du vibraphone qui aurait sans doute été préféré aujourd'hui par une oreille aussi fine que celle de Luigi Dallapiccola. La version de Commiato donnée en concert à Paris en 1981 par l'Ensemble Intercontemporain (direction Peter Eötvös) me semblait assez convaincante de ce point de vue, mais elle n’a pas été enregistrée.

Pour rendre à Dallapiccola la véritable place qu'il a dans la musique du XXe siècle, il faut souligner et mettre en évidence les qualités « sonores » intelligibles de ses oeuvres. Je mentionnerais ici, au titre d'une approche qui m’est chère et qui ne considérait pas la musique comme une langue morte, figée sur une partition, la façon dont Pierre Boulez avait analysé lors de ses conférences publiques (enregistrées sur les cassettes IRCAM/Radio-France, série 3 : « L'oeil et l'oreille », désormais accessibles en ligne) le premier mouvement de la Symphonie opus 21 d'Anton Webern[29][30] : sans rentrer dans le détail des « décomptes » sériels souvent fastidieux il a parlé de phénomènes perceptibles pour tout un chacun, des « difficultés pour l’écoute », et décrit les timbres dans le double canon initial en parlant de« tableaux lumineux et de points qui s'allumeraient à certains moments »... D’autres chercheurs et compositeurs se sont intéressés depuis longtemps au timbre, et l’on pense entre autres au très bel ouvrage collectif de Jean-Baptiste Barrière, Le timbre, métaphore pour la composition, qui a marqué une date importante lors de sa parution en 1991 (voir bibliographie). Une telle vision de l’étude de la musique m'apparaît nécessaire pour la production vocale et instrumentale de Luigi Dallapiccola, et il me semble que c'est servir ses fondements artistiques que de la commenter en termes de formes, de textures, de sonorités, de souligner le plaisir qu'elle procure à notre ouïe aussi par le biais des timbres et de l’orchestration. De ce point de vue je reste persuadé que le « son », les qualités sonores, rythmiques et timbriques de ce type de cette musique et son interprétation ne devraient pas être sacrifiées éternellement au profit de l’étude presque exclusive des hauteurs sur la partition. Aujourd’hui nous avons la chance de compter sur le projet international ACTOR qui soutient intelligemment et d’un façon très diversifiée les études sur le timbre et l’orchestration dans les musiques du XXe siècle notamment, et ma contribution sur Dallapiccola permettra, je l’espère, de compléter ses ressources à propos d’un compositeur qui reste à redécouvrir.

Bibliographie sélective :

Textes de Dallapiccola

« Note per un’analisi dei Canti di Liberazione » texte original de 1974, dans Dallapiccola Luigi, Parole e Musica, Milan, Il Saggiatore, 1980, pages 472-485, traduction anglaise par F. CHLOE STODT : «Notes for an Analysis of the Canti di Liberazione», dans Perspectives of New Music, Vol. 38, No. 1 (Winter, 2000), pp. 5-24 ; traduction française de Laurent Feneyrou : « Notes pour une analyse des Canti di liberazione », dans Donin Nicolas, Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale – Anthologie d’auto-analyses de Janácek[MOU1]  à nos jours, Genève, Droz/Haute Ecole de Musique de Genève, 2019, pages 283-301.

 « Rencontre avec Anton Webern - Pages de journal », Revue Musicale Suisse, CXV/4 (1975), p. 168.

Recueils de textes en anglais et en français

Dallapiccola on Opera – Selected Writings of Luigi Dallapiccola, translated and edited by Rudy Shackelford, London, Toccata Press, 1987;

Luigi Dallapiccola, Paroles et musique, traduit de l'italien par Jacqueline Lavaud, Paris, Minerve, 1993.

Textes sur Luigi Dallapiccola

Rosemary Brown, Continuity and recurrence in the creative development of Luigi Dallapiccola, University of North Wales, Bangor, June 1977.

Angela Ida De Benedictis & Christoph Neidhöfer, « Luigi Dallapiccola, Massimo Mila, and the Journey of a Manuscript : An Analysis of Tre poemi (1949) in Context », dans Contemporary Music Review, 2017, Vol. 36, N°5, pages 440-481.

Dietrich Kämper, « Ricerca ritmica e metrica », Neue Zeitschrift für Musik,135 (1974), 94-99.

Dietrich Kämper, Gefangenschaft und Freiheit – Leben und Werk des Komponisten Luigi Dallapiccola,  Cologne, Gitarre + Laute Verlag, 1984, p. 142.

David Lewin, “Serial transformation Networks in Dallapiccola’s “Simbolo”, dans David Lewin, Musical Form and Transformation: Four Analytic Essays New Haven, Connecticut, and London: Yale University Press, 1993; reprinted, Oxford and New York: Oxford University Press, 2007.

Pierre Michel, Luigi Dallapiccola, Genève, éditions « Contrechamps », 1996.

Pierre Michel, « Quelques aspects du timbre chez Luigi Dallapiccola », in Revue de Musicologie, 1992, tome 78, 1992 n°2, p. 307-330.

Pierre Michel, « Timbro, ricerca sonora e scrittura nelle ultime opere diDallapiccola (1950-70) », in Mila De Santis : Dallapiccola – Letture e prospettive – Una monografia a più voci, éd. Ricordi / LIM, collection « Le Sfere », Lucca, 1997, p. 449-466.

Pierre Michel, « Luigi Dallapiccola : Dialoghi », dans Jean-Yves Bosseur & Pierre Michel, Musiques contemporaines – Perspectives analytiques 1950-1985, Paris, Minerve, 2007, p. 41-51.

Pierre Michel, « About some harmonic and textural choices by Dallapiccola in  Commiato», dans Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola nel suo Secolo – Atti del Convegno internazionale, Florence, Leo S.Olschki Editore, 2007, pages 449-466.

Hans Nathan, « Considérations sur la façon de travailler de Luigi Dallapiccola», Schweizerische Musikzeitung 115, 1975, p. 184-187.

Autres Ecrits

Julian Anderson, « Dans le contexte», Entretemps, 8, septembre 1989, p. 13-23;

Jean-Baptiste Barrière, « Écriture et modèles – Remarques croisées sur séries et spectres », Entretemps n°8, septembre 1989, p. 25-45 ;

Jean-Baptiste Barrière, Le timbre, métaphore pour la composition, éd. Christian Bourgois, 1991.

Francis Bayer, De Schönberg à Cage. Essai sur la notion d'espace sonore dans la musique contemporaine, Paris : Klincksieck, 1981, voir en particulier le chapitre VII, « La continuité spatiale», p. 122-141

Alain Galliari, Anton von Webern, Paris, Fayard, 2007.

Gérard Grisey, « Structuration des timbres dans la musique instrumentale », dans Jean-Baptiste Barrière (éditeur), Le Timbre, métaphore pour la composition, Paris, IRCAM/Christian Bourgois, 1991, p. 352-385

Harry Halbreich, « Harmonie et timbre dans la musique instrumentale », La Revue  Musicale, triple numéro 391-392 Maurice Ohana - Miroirs de l'œuvre (Paris : R. Masse, 1986), 51-69;

Helmut Lachenmann, « Quatre aspects du matériau musical et de l'écoute », Musique en création (Paris : Festival d'Automne à Paris, 1989 [numéro spécial de Contrechamps, p. 105-112 ; https://books.openedition.org/contrechamps/2277?lang=fr

Michael Levinas, « Le son et la musique», Entretemps, 6 (février 1988), 27-34;

György Ligeti, « Die Komposition mit Reihen und ihre Konsequenzen bei Anton Webern», Österreichische Musikzeitschrift, 6-7 (1961), p. 297-302; traduction française de Catherine Fourcassié : « L’écriture du timbre chez Webern », dans György Ligeti, Écrits sur la musique et les musiciens, Genève, Contrechamps, 2014, p. 242-248.

Valérie Philippin, La voix soliste contemporaine – Repères, technique et répertoire, Lyon, éditions Symétrie, 2017.

Moe Touizrar et Stephen McAdams : “Aspects perceptifs de l’orchestration dans The Angel of Death de Roger Reynolds : timbre et groupement auditif », dans Lalitte Philippe, Musique et cognition – Perspectives pour l’analyse et la performance musicales, Dijon, EUD, 2019, p. 71-88. Version anglaise : “Perceptual Facets of Orchestration in The Angel of Death by Roger Reynolds: Timbre and Auditory Grouping”, Schulich School of Music, McGill University, Montréal, QC, Canada.

Un numéro de revue : Le Timbre : forme, espace, écriture (Revue Analyse Musicale, 3 [avril 1986])


Cet article bénéficie du soutien de l’Institut Thématique Interdisciplinaire CREAA dans le cadre du programme ITI 2021-2028 de l’Université de Strasbourg, du CNRS et de l’Inserm (financé par l’IdEx Unistra ANR-10-IDEX-0002, et par le projet SFRI-STRAT’US ANR-20-SFRI-0012 dans le cadre du programme Investissements d’Avenir).

 
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