Entrevue avec Mattia Berrini - Verbatim
Entrevue avec Mattia Berrini - Verbatim
EROC – Questions pour les interprètes (phase d’introduction)
Instrumentation : violon, clarinette basse, trombone, vibraphone et petites percussions
L’approche de l’orchestration propre au projet ACTOR peut être résumée comme suit :
« L’orchestration, dans son sens le plus large, peut être définie comme la sélection, la combinaison ainsi que la juxtaposition judicieuse de sons instrumentaux et d’effets sonores en vue de l’atteinte d’un objectif musical. » Dans le contexte de la musique contemporaine, nous nous intéressons à ce que le compositeur John Rea désigne par le terme « orchestration prima facie », c’est-à-dire lorsque l’orchestration et le timbre font partie dès le début des processus conceptuels et compositionnels d’une oeuvre. En gardant à l’esprit que l’objectif général est de faire en sorte que les compositeurs.trices et interprètes soient conscient.e.s des problématiques en lien avec la perception dans la pratique de l’orchestration, le but des questions suivantes est de fournir quelques pistes vous amenant à réfléchir à certains aspects musicaux. Vous êtes libres de choisir de les utiliser ou non dans votre travail créatif. Ces questions vous sont posées dans une optique pédagogique et intellectuelle, mais pas dans le but de vous fournir des « lignes directrices » pour la composition ou l’interprétation dans le cadre de ce séminaire. Si vous le jugez pertinent, n’hésitez pas à donner des exemples spécifiques ou à en faire la démonstration sur votre instrument.
1. Quelles sont les opportunités particulières que vous offre cet ensemble, étant donné votre rôle d’interprète ?
Tout d’abord, je dirais que j’ai déjà eu beaucoup d’opportunités de jouer de la musique de chambre dans ma vie, mais bien sûr jamais avec un ensemble pareil. J’imagine que le plus grand défi va être de trouver une façon de faire fonctionner l’ensemble au point de vue du timbre. Étant violoniste, je habitué à penser l’ensemble de musique de chambre comme quelque chose où il faut vraiment créer un blending des sons. Parfois je me demande si, dans cette occasion-là, il serait mieux d’oublier ce concept et aller peut-être dans la direction opposée. C’est-à-dire de ne pas chercher un blend des sons, mais de souligner les individualités de chaque instrument
2. Quels sont les défis spécifiques (techniques, musicaux) que cet ensemble vous présente en tant qu’interprète ? Avez-vous des stratégies en tête pour y faire face ?
C’est un peu difficile de répondre maintenant. On en est encore au début. Je commencerais par dire que la musique contemporaine, c’est souvent très difficile par nature. Par contre, étant donné que nous sommes un ensemble tellement hétérogène au niveau des instrumentistes, peut-être y’aurait-il une possibilité de s’enrichir réciproquement les et les autres, avec nos différents backgrounds. Pour répondre plus spécifiquement à la question, c’est difficile maintenant parce que je suis sûr qu’il va falloir faire face à beaucoup de difficultés, mais ce n’est pas encore le moment donc c’est difficile d’y penser maintenant.
3. Étant donné le déséquilibre potentiel en termes de puissance et de présence sonores, ainsi que de volume entre les instruments de cet ensemble, comment pensez-vous avoir à ajuster votre jeu instrumental dans ce contexte ? Quelle serait votre approche du jeu avec chacun des trois autres instruments ? Y a-t-il des aspects auxquels vous pensez devoir faire particulièrement attention ?
Je dirais que ça dépend de ce que le compositeur entend dans sa tête. L’intention des compositeurs, c’est la chose primaire à suivre. Bien sûr, le violon est peut-être un instrument un peu moins puissant s’il doit faire face au son du trombone ou des percussions. Par contre, je dirais que ça va dépendre complètement de l’intention musicale que l’on cherche. Si on cherche effectivement un équilibre dans un passage donné, il va peut-être falloir chercher à imiter les sons des autres instruments.
4. Quels sonorités propres à votre instrument pourraient-elles être choisies pour produire une fusion sonore (blend) avec celles des autres instruments de l’ensemble ? Qu’est-ce que vous pourriez faire pour favoriser la fusion timbrale avec les autres instruments ? Êtes-vous en mesure d’imaginer des territoires timbraux communs entre les différents instruments ?
C’est difficile d’imaginer un territoire commun entre les quatre instruments, mais il va peut-être il y en avoir entre deux ou trois instruments, et cela pour fonctionner comme un pont de communication entre chaque instrument de l’ensemble. Pour donner des exemples plus spécifiques, j’imagine que le son du vibraphone pourrait être imité par des pizzicatos au violon. La sonorité du trombone, c’est quelque chose que l’on peut chercher à imiter en jouant sur les positions plus hautes sur les cordes graves, ainsi qu’avec la clarinette basse.
5. Quelles sonorités propres à votre instrument seraient les plus difficiles à fusionner avec celles des autres instruments de l’ensemble ? Quels seraient les territoires timbraux distinguant chaque instrument des autres ?
La douceur du timbre violonistique va être difficile à recréer parmi les autres instruments. Mais c’est beaucoup plus difficile à imaginer. Peut-être est-ce à cause de la nature de la formation instrumentale, mais c’est beaucoup plus facile de penser à comment fusionner son son avec les autres, plutôt qu’aux difficultés. Je pense qu’il n’y aucun son qu’il serait impossible de fusionner. Il faudra trouver la bonne façon de le faire, si l’on veut le faire.
6. Dans la même lignée, quelles sonorités pourraient permettre des transitions entre le son d’un instrument donné et celui d’un autre, de manière à créer des séquences timbrales qui seraient soit homogènes, soit fragmentées ?
Pour des séquences homogènes, il faudrait aller chercher dans le registre moyen de chaque instrument, et chercher des ponts de communication entre les différents registres. Pour créer une fragmentation, on pourrait aller dans la direction opposée, pour chercher dans les registres plus extrêmes de chaque instrument.
7. De quelle manière différents arrangements de sonorités instrumentales (voicings), dans des registres particuliers, avec des techniques de jeu spécifiques et/ou des ajustements timbraux pourraient affecter la tension musicale perçue dans une même sonorité verticale ?
En cherchant à diversifier le plus possible soit la technique de jeu, soit l’articulation, soit le registre. La tension musicale peut venir des intervalles, des timbres différents, des registres extrêmes opposés. Elle peut venir aussi des aspects rythmiques de la musique, ce qui est plus immanent à l’écriture. Si on parle de techniques de jeu, si on a une tension qui vient de l’harmonie, on pourrait chercher à la souligner soit avec le registre, soit avec l’articulation, soit avec la sonorité de l’instrument même. Je ne peux pas faire d’exemples pour le trombone ou pour la clarinette, je ne connais pas assez ces instruments, mais avec le violon, en changeant le point de contact sur la corde, on va obtenir des sons différents. S’il y a une tension particulière dans l’accord, on peut chercher à jouer plus proche du chevalet pour chercher un son plus pur qui va être un peu plus tranchant. De cette façon, on va souligner la friction harmonique.
8. Attaque-résonance : Dans une situation où les quatre instruments commencent à jouer ensemble, et que vous produisez un son de courte durée, alors que les autres continuent à jouer plus longtemps que vous, quelles sonorités des trois instruments produisant les sons les plus longs pourraient servir d’extensions timbrales ou de résonances du son de votre instrument ? Et de quelle manière votre instrument pourrait-il créer une résonance timbrale des sonorités de chacun des trois autres instruments ?
C’est une bonne question. Pour le vibraphone, ce n’est pas forcément un problème. C’est un instrument qui a une attaque et une résonance. J’imagine que les deux sons vont fusionner d’une façon plus naturelle. Pour la clarinette basse, les registres plus bas doivent sûrement favoriser la résonance, dans l’attaque et la résonance du violon. Pour le trombone, la dynamique doit peut-être avoir une influence sur ça, mais c’est plus difficile à imaginer. Le vibrato peut être une bonne technique sur le violon pour souligner la résonance d’un son préexistant.
9. Avez-vous en tête des exemples de matériaux très contrastants (en termes de timbre) qui pourraient être utilisés pour opérer une segmentation du discours musical ? Est-ce que certaines combinaisons instrumentales permettant d’atteindre cet objectif vous viennent à l’esprit ? Donnez des exemples de contrastes timbraux à l’intérieur d’un même registre qui pourraient être produits avec votre instrument.
Il y a peut-être une plus grande facilité technique à recréer des harmoniques sur les instruments à cordes plutôt que sur les instruments à vent. On pourrait imaginer quelque chose de vraiment contrastant. On peut imaginer une note jouée comme une harmonique sur le violon, et une autre soutenue avec le trombone. J’imagine que ça créerait une fragmentation significative.
10. Comment concevez-vous la nature des interactions entre compositeurs.trices et interprètes ?
Idéalement, la bonne façon serait de premièrement, se connaître au niveau personnel. Du point de vue des interprètes, si on connaît la personnalité des compositeurs, c’est plus facile d’imaginer ce qu’ils veulent. Du point de vue d’un compositeur, s’il connaît la personnalité des interprètes, c’est plus facile d’imaginer que les interprètes puissent être à l’aise avec certaines choses ou non. Idéalement, ce serait fantastique de construire la pièce musicale ensemble, un peu comme on est en train de faire dans ce projet. Les compositeurs commencent à présenter des matériaux, on les essaye, on les joue, on les lit, on donne un feedback au compositeur, le compositeur va réfléchir sur ça, changer d’avis sur certaines choses, puis étapes par étapes, on va construire la pièce.
11. Comment vous préparez-vous pour ce type de travail de collaboration ? Y a-t-il quelque chose de spécial que vous prévoyez mettre en oeuvre dans ce contexte et/ou avec ce type d’ensemble, en comparaison avec d’autres processus de création qui seraient plus traditionnels ?
Je pense que le paradoxe ici, c’est qu’il n’y a pas vraiment de préparation. À chaque séance, on se retrouve, le compositeur nous amène des matériaux déjà préparés et il faut le lire tous ensemble. La première fois que l’on a sorti les instruments, on a essayé de jouer ensemble, on ne se connaît pas vraiment. C’est un peu comme sauter dans l’eau froide, mais ça c’est la nature du projet, pour l’instant. Bien sûr, si l’on va se préparer pour des concerts, et on va se préparer pour des concerts, il va falloir travailler de la bonne façon. La bonne façon est évidemment de pratiquer son propre matériel une fois que la pièce sera complète, et de le combiner avec les autres instrumentistes. Mais nous n’avons pas la certitude que ça va fonctionner, bien sûr, mais j’imagine que c’est la nature du projet.
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