Entrevue avec Zacharie Fournier Robert - Verbatim
Entrevue avec Zacharie Fournier Robert - Verbatim
EROC – Questions pour les interprètes (phase d’introduction)
Instrumentation : violon, clarinette basse, trombone, vibraphone et petites percussions
L’approche de l’orchestration propre au projet ACTOR peut être résumée comme suit :
« L’orchestration, dans son sens le plus large, peut être définie comme la sélection, la combinaison ainsi que la juxtaposition judicieuse de sons instrumentaux et d’effets sonores en vue de l’atteinte d’un objectif musical. » Dans le contexte de la musique contemporaine, nous nous intéressons à ce que le compositeur John Rea désigne par le terme « orchestration prima facie », c’est-à-dire lorsque l’orchestration et le timbre font partie dès le début des processus conceptuels et compositionnels d’une œuvre. En gardant à l’esprit que l’objectif général est de faire en sorte que les compositeurs.trices et interprètes soient conscient.e.s des problématiques en lien avec la perception dans la pratique de l’orchestration, le but des questions suivantes est de fournir quelques pistes vous amenant à réfléchir à certains aspects musicaux. Vous êtes libres de choisir de les utiliser ou non dans votre travail créatif. Ces questions vous sont posées dans une optique pédagogique et intellectuelle, mais pas dans le but de vous fournir des « lignes directrices » pour la composition ou l’interprétation dans le cadre de ce séminaire. Si vous le jugez pertinent, n’hésitez pas à donner des exemples spécifiques ou à en faire la démonstration sur votre instrument.
1. Quelles sont les opportunités particulières que vous offre cet ensemble, étant donné votre rôle d’interprète ?
C’est intéressant, c’est une formation qui n’est pas très conventionnelle. La différence de registre dans les instruments, le fait que ce soit des instruments de différentes, apportent l’opportunité de vivre d’un point de vue isolé l’interaction avec ces autres instruments. On est deux instruments graves, mais l’un est un bois à hanche, versus un cuivre qui porte énormément. Faire cette démarche d’interprète à nu, avec seulement un instrumentiste, c’est quelque chose d’intéressant. En travaillant avec ces instrumentistes, on se rend compte qu’il y a beaucoup de similarités entre les instruments. Entre trombonistes, on dit souvent que l’on est un des rares instruments qui peut être juste à cent pourcent. Les notes ont des positions pré-définies, mais on les trouve, si ça ne sonne pas juste on peut les ajuster. On peut être vraiment sur le pitch. On se rend compte qu’il y a certaines techniques qui sont similaires avec le violon. En tant que joueur de cuivre, on a peu d’opportunités de jouer hors orchestre. On peut expérimenter différentes techniques, différents timbres. Même chose pour la clarinette basse, de trouver dans quel registre, quelle hauteur, on peut sonner similairement, ou à l’opposé. Ce genre d’opportunité, de pouvoir, sur mon instrument, découvrir jusqu’ou je peux aller pour imiter un son ou être différent d’un autre.
2. Quels sont les défis spécifiques (techniques, musicaux) que cet ensemble vous présente en tant qu’interprète ? Avez-vous des stratégies en tête pour y faire face ?
Petite parenthèse avant qu’on continue. Pour moi, cela fait deux fois que l’on se rencontre avec l’ensemble et personne n’est venu me voir pour me parler du projet hors du séminaire. C’est avec la dernière rencontre que j’ai compris ce qu’était le projet. Je suis encore un peu perdu, je commence encore la musique contemporaine. Je me sens un peu pris au dépourvu. Parenthèse fermée. N’importe quel musicien qui arrive devant un style de musique auquel il n’est pas habitué, c’est un défi en soi. La musique contemporaine n’est pas tant éloignée de ça que la musique classique, je pense que s’en est une section sous-jacente qui fait partie de la même famille. D’un autre point de vue, au niveau de ce qui est effets sonores, techniques instrumentales peu conventionnelles, pour moi c’est un défi parce que c’est quelque chose que je n’ai pas travaillé énormément dans ma vie. Je découvre ça et j’apprends. Les solutions vont être de travailler ces techniques, de rechercher, de m’informer et de pratiquer.
3. Étant donné le déséquilibre potentiel en termes de puissance et de présence sonores, ainsi que de volume entre les instruments de cet ensemble, comment pensez-vous avoir à ajuster votre jeu instrumental dans ce contexte ? Quelle serait votre approche du jeu avec chacun des trois autres instruments ? Y a-t-il des aspects auxquels vous pensez devoir faire particulièrement attention ?
En partant, ce qui est déstabilisant, c’est que je suis l’instrument qui a la plus grande portée. Les percussions peuvent tout de même aller chercher loin aussi, mais cette instrumentation fait que je vais devoir faire attention. Ça fait partie du travail d’ACTOR, de trouver différentes techniques, différentes façons d’améliorer, rechercher le timbre, comprendre comment il fonctionne et comment mon timbre fonctionne par rapport aux autres instruments et d’être capable de m’ajuster. Pour résumer, je vais devoir écouter ce qu’il se passe et composer avec ça.
4. Quels sonorités propres à votre instrument pourraient-elles être choisies pour produire une fusion sonore (blend) avec celles des autres instruments de l’ensemble ? Qu’est-ce que vous pourriez faire pour favoriser la fusion timbrale avec les autres instruments ? Êtes-vous en mesure d’imaginer des territoires timbraux communs entre les différents instruments ?
Dans chaque section d’instrument de l’ensemble, il y a des similarités dans les instruments. Par exemple, clarinette basse et trombone, nous sommes deux instruments graves. Nos instruments fonctionnent avec la vibration, ce sont des instruments à vent, ce qui nous aide à composer ensemble. Les registres aigus de tous les instruments se démarquent beaucoup du reste. Je parle pour le trombone : le registre moyen/grave est le registre le plus facile à faire blender avec les autres instruments. Ça serait de voir avec le violon. Ayant déjà joué de la musique de chambre avec un violoniste et un altiste, c’est très facile de perdre les cordes dans n’importe quel registre du trombone. On entend tout de suite que ce n’est pas le même genre de vibration sonore. Ça serait à voir, la vie nous le dira ! Les percussions vont être à voir aussi. J’appréhende que ça va bien se passer avec la clarinette basse. Un des projets que l’on a fait avec Jean-Michaël Lavoie a été de tester différentes techniques de son pour faire résonner des plaques de métal. L’utilisation d’accessoires, comme les sourdines, d’attacher des éléments en métal à l’instrument, une autre sorte de vibration se produit, et ça serait de voir comment cela pourrait être utilisé. Il y a différentes sortes de sourdines, avec un éventail de sons que l’on peut aller chercher. Il y a pour les cuivres trois hauteurs caractéristiques : le moyen, le grave et l’aigu. Je pense que ces trois marches de sonorités et de timbres potentiels vont pouvoir suivre ces changements.
5. Quelles sonorités propres à votre instrument seraient les plus difficiles à fusionner avec celles des autres instruments de l’ensemble ? Quels seraient les territoires timbraux distinguant chaque instrument des autres ?
J’ai déjà un peu répondu à la question précédemment. Le registre aigu du trombone est particulièrement caractéristique de l’instrument. C’est un son direct, concentré mais qui prend quand même de la place, en comparaison au suraigu d’un violon qui peut facilement être caché par autre chose. Je pense que l’aigu du trombone serait quelque chose d’un peu plus difficile à faire blender avec le reste. Mais si l’exercice n’est pas forcément de blender mais d’aller à l’opposé, cela pourrait fonctionner aussi.
6. Dans la même lignée, quelles sonorités pourraient permettre des transitions entre le son d’un instrument donné et celui d’un autre, de manière à créer des séquences timbrales qui seraient soit homogènes, soit fragmentées ?
Il s’agirait de tester des choses pour voir ce qui fonctionnerait. Si on va instrument par instrument, avec le violon, ça prendrait une sourdine, en jouant dans le registre moyen/aigu puisque le violon ne va pas beaucoup dans les graves. On pourrait sûrement faire cette transition-là dans le registre grave avec la clarinette basse. La clarinette a un son un peu plus granuleux. Au trombone on peut aller chercher quelque chose de très lisse. Faire du flatterzung pourrait être une option, dans le moyen/grave. Avec les percussions, j’en ai franchement aucune idée. J’ai hâte d’essayer ça. Si ce n’est pas homogène, toutes les réponses précédentes peuvent fonctionner.
7. De quelle manière différents arrangements de sonorités instrumentales (voicings), dans des registres particuliers, avec des techniques de jeu spécifiques et/ou des ajustements timbraux pourraient affecter la tension musicale perçue dans une même sonorité verticale ?
C’est un peu le propre du contemporain, depuis sa naissance, d’aller à l’inverse de ce que l’on fait depuis toujours. Des gens depuis 200 ans ont décidé de regrouper des recueils d’orchestration, et le contemporain cherche souvent à aller à l’encontre de ça. Si on prend un voicing standard, en plaçant les instruments dans leur registre de manière automatique, ça peut donner quelque chose de tendu, mais je pense que ce qui serait intéressant, c’est de renverser les rôles des instruments dans le voicing. Ça reste à voir, ça dépend de chaque instrumentiste, de qui est capable de faire quoi et jusqu’à quel point. Je pense que ce qui serait intéressant d’entendre, ça serait justement un renversement des rôles : un instrument grave qui va chercher des sons aigus, par exemple. Cela permettrait d’affecter les zones de tension, en travaillant sur la répartition des voix, en essayant différentes combinaisons.
8. Attaque-résonance : Dans une situation où les quatre instruments commencent à jouer ensemble, et que vous produisez un son de courte durée, alors que les autres continuent à jouer plus longtemps que vous, quelles sonorités des trois instruments produisant les sons les plus longs pourraient servir d’extensions timbrales ou de résonances du son de votre instrument ? Et de quelle manière votre instrument pourrait-il créer une résonance timbrale des sonorités de chacun des trois autres instruments ?
Si je fais un son court et que les instruments doivent imiter un genre d’écho, ça dépend de ce que je vais jouer. Une note très courte grave en comparaison à une notre très courte aigue, ça ne sonnera pas pareil. Une note courte grave sonnerait comme une sirène de bateau, la clarinette basse pourrait peut-être y arriver. Mais je n’ai pas franchement d’idées, ça va être à expérimenter.
9. Avez-vous en tête des exemples de matériaux très contrastants (en termes de timbre) qui pourraient être utilisés pour opérer une segmentation du discours musical ? Est-ce que certaines combinaisons instrumentales permettant d’atteindre cet objectif vous viennent à l’esprit ? Donnez des exemples de contrastes timbraux à l’intérieur d’un même registre qui pourraient être produits avec votre instrument.
J’ai quelques idées, et je vais reparler du flatterzung. C’est une technique très surprenante. On peut contraster avec un son long ou court en plaçant un flatterzung très contrastant. Avec la clarinette basse, ça sonne très bien, très égal, très symétrique. Les deux instruments ensembles pourraient être intéressants. Les dynamiques de base, les nuances, les articulations, les effets de dissonance, les clusters, permettraient de créer des effets incisifs. On pourrait utiliser les glissandos aussi.
10. Comment concevez-vous la nature des interactions entre compositeurs.trices et interprètes ?
Je la conçois de plein de façons. Si tous les compositeurs se donnaient la peine de connaître les instruments avec lesquels ils travaillent, la vie serait plus belle pour tout le monde. Ce n’est pas rare que l’écriture soit faite n’importe comment, parce que le compositeur pense que quelque chose qui sonne bien dans sa tête va bien sonner en vrai. Le travail avec les compositeurs est intéressant car on expérimente tout ça. C’est encore récent, je ne sais pas jusqu’à quel point le compositeur va être compréhensif pour l’interprète. Il faut que le compositeur se limite aussi à ce que je suis capable de faire. Le concept de relation entre interprètes et compositeurs est une bonne chose, ça permet au compositeur de se questionner. Ça évite d’arriver à des choses injouables, douteuses en termes de qualité musicale, parce qu’on a cette démarche de travailler avec les compositeurs.
11. Comment vous préparez-vous pour ce type de travail de collaboration ? Y a-t-il quelque chose de spécial que vous prévoyez mettre en oeuvre dans ce contexte et/ou avec ce type d’ensemble, en comparaison avec d’autres processus de création qui seraient plus traditionnels ?
Je répondrais simplement en disant que le compositeur est un peu limité par les capacités de son interprète. Dans mon début de collaboration avec des compositeurs en musique contemporaine, ma démarche est basée sur une recherche. Lorsque je pratique mes gammes, mes flexibilités, je consacre une partie à explorer l’instrument, à repousser les limites de l’instrument, regarder quel genre d’effet je suis capable de faire, quel genre de techniques je peux utiliser, quel timbre je peux adopter. Il s’agit d’agrandir ma palette de techniques. C’est très progressif parce qu’il s’agit de déconstruire certaines choses aussi. On apprend par la musique classique, mais se préparer pour la musique contemporaine est différent dans le processus. C’est plus subtil, on travaille dans les petits détails. Travailler avec cette formation permet aussi d’essayer des choses, de tester et de voir les choses qui sont pertinentes, écoutables.