Report — Quentin Lauvray

Composer/Performer Orchestration Research Ensemble Report

Quentin Lauvray
Avril, 2020

Je me suis engagé dans ce projet avec une idée mitigée de la collaboration entre interprètes et compositeurs. Je pense que c'est à la fois une incroyable opportunité, un challenge, et une limitation conséquente. Je vais donc essayer de mettre en lumière les différents aspects d'une telle collaboration en essayant d'être aussi honnête que possible.

De la limitation de l'écoute

Il me semble presque évident qu'avec une telle instrumentation, n'importe quel compositeur soit désarmé, voire perdu. Il n'existe pas à ma connaissance de pièce avec ces quatre instruments précisément. De plus, certains duos (violon/trombone en particulier) semblent compliqués à mélanger de manière naturelle sans tomber dans les clichés (qu'il m'arrive bien sûr d'utiliser) que sont le bruit blanc ou encore les unissons en échanges de timbres. Sans optique de collaboration, il me semble que je (et beaucoup d'autres compositeurs) me serait rapidement retranché vers une utilisation des instruments peu risquée, favorisant des combinaisons, des gestes, des dispositions, etc, que j'ai déjà entendus. Même si une pièce n'est pas construite que de timbres et d'orchestration, il s'agit néanmoins d'un niveau de surface important au travers duquel l'écoute passe : on peut penser qu'il vaut mieux une surface standard qui laisse l'auditeur apprécier le discours, le matériau et le dévoilement de la forme, plutôt qu'une surface très inégale qui va attirer l'attention et distraire l'auditeur des autres aspects de la pièce. Ici, la collaboration fut très importante, car elle m'a permis d'explorer des combinaisons inusuelles, de construire des hypothèses et de les tester, afin d'affiner et d'élargir le champ des possibilités de mon imaginaire. Elle m'a permit d'oser, sachant que même un échec serait bénéfique au résultat final. Néanmoins, il me semble qu'en ce sens aussi, la collaboration accentue et déforme l'écoute vers la recherche d'un résultat plutôt immédiatement satisfaisant hors contexte, et facilement réalisable. Par exemple, ce n'est qu'à la fin de certaines répétitions lors du second semestre que j'ai pu vraiment tester certaines idées, les interprètes étant presque toujours en lecture à vue de ce que nous amenions (il faut noter ici qu'il s'agit d'un problème probablement facile à résoudre, et dont les compositeurs sont sans doute coupables !). Je me suis retrouvé à jeter beaucoup de matériaux qui, sans doute avec plus de raffinements de ma part, plus de répétitions et de précisions de la part des interprètes, et un contexte pour celui-ci, aurait parfaitement fonctionné. Il est parfois intéressant de composer sur table seulement, et à être prêt à aller autant dans l'inconnu qu'en collaboration. Mais cette fois-ci, la non-immédiateté du résultat pousse le compositeur à ne pas s'arrêter à la première écoute ou à l'aspect superficiel du son. De plus, la recherche de situations non pas aux frontières de son imagination mais basées sur une connaissance et un inconscient activés par introspection, permet d'obtenir, il me semble, quelque chose de plus personnel et plus radical (en admettant qu'une telle exigence et recherche fasse partie des valeurs du compositeur).

Il faut néanmoins reconnaître que la simple présence constante aux instruments, divers techniques, interprètes et compositeurs, a instruit mon écoute, même inconsciemment. Toutes les combinaisons que j'ai trouvées sur table ont sans aucun doute été possibles grâce à cette collaboration, même si le lien n'est pas immédiatement discernable.

Toujours dans la catégorie de l'influence de la collaboration sur l'écoute, il me semble important de noter la différence cruciale que les enregistrements ont procurée. La réécoute des sessions m'a poussé à être beaucoup plus exigeant avec moi-même. Il se trouve qu'une grande partie des idées qui m'ont semblé marcher en répétitions se sont révélées être très décevantes dans l'enregistrement. Je ne sais pas si c'est la simple réécoute qui affine ma perception et mes exigences, la prise de son, ou encore mon écoute réduite au pur son. J'ai remarqué une chose similaire dans mon écoute pour les nombreux concerts de la musique de Helmut Lachenmann auxquels j'ai pu assister cet hiver, connaissant les pièces seulement en version enregistrées. Ma perception s'est trouvée singulièrement différente. Des moments que je trouvais insatisfaisant se sont révélés être des moments de grande beauté en concert. Je ne sais donc pas vraiment s'il s'agit d'un point positif ou négatif de la collaboration. Tout comme la collaboration je pense que la présence d'enregistrements a modifié et distordu notre écoute vers un résultat qui sera satisfaisant dans un cadre d'écoute réduite, pour le mieux et le moins bien.

De la limitation des interprètes

Il est évident que la rencontre entre des interprètes quasi-professionnels/professionnels et des compositeurs est toujours source de découvertes et d'excitations. Les deux bouts de la collaboration apprennent beaucoup, à condition que les deux soient prêts à surpasser voire violer les règles de bon sens, de bon goût, et de cohérence. Cela requiert un certain profil d'interprètes et de compositeurs qui ont un grand intérêt à entreprendre une telle démarche. Tout le monde ne veut pas nécessairement suivre cette voie, et la collaboration en dehors de celle-ci me semble vaine si on peut la remplacer par une étude approfondie du répertoire, d'enregistrements, de ressources instrumentales. À quoi bon collaborer pour chercher quelque chose qui nous est expliqué en quelques pages dans le traité de Koechlin ? Je suis peut-être un peu difficile, mais considérant la masse énorme de données que l'on a, même sur les techniques étendues, il me semble inutile de tâtonner là où nombreux sont ceux qui ont tâtonné avant nous ! Il faut donc que la collaboration naissent d'une nécessité partagées entre l'interprète et le compositeur. Il peut s'agir de la mise en place d'une nouvelle notation, de techniques inconnues, d'exploration conjointes (improvisations plus ou moins guidées, travail avec de l'électronique en temps réel...) ou encore d'une volonté de personnaliser l’œuvre pour un certain musicien. Car la collaboration est avant tout une interaction humaine entre deux individus qui amènent avec eux leurs bagages d'habitudes, de facilités, de limitations et de goûts. Dans ce cadre là, on peut vouloir mettre en valeur les capacités et les qualités d'un interprète. Néanmoins, l’œuvre risque à tout moment de sortir du cadre reproductible et devenir une œuvre jouable que par quelques individus élites. L'inverse est aussi vrai : la collaboration nous amène à ne pas nous abstraire des défauts, des incapacités et des goûts de l'interprète avec qui nous travaillons. Ainsi, si l'individu avec lequel nous travaillons ne peut faire une certaine technique, et ne peut pas jouer confortablement dans un certain registre, etc, cela devient tout de suite quelque chose que le compositeur va éviter à tout prix, alors qu'un autre interprète aurait pu parfaitement accomplir cela. Cela est particulièrement vrai pour des étudiants/quasi-professionnels ou encore les interprètes qui n'ont pas l'habitude de la nouvelle musique ; et là encore, il ne s'agit pas nécessairement d'un processus conscient. Il s'agit sans doute d'une conviction purement personnelle, mais je trouve difficile de me dire qu'une pièce est restreinte à une personne. Ce n'est en tout cas pas du tout ce que je recherche, voire l'exact opposé. De plus, cela risque de donner l'idée au compositeur que telle ou telle technique n'est pas possible. Là, un chef d'orchestre expérimenté et connaisseur du répertoire est très utile afin de clarifier quelle est la part qui est dû au compositeur, à l'interprète ou encore à l'écriture.

De la séparation entre collaboration et composition

Malgré ce que j'ai énoncé ci-dessus, je suis pour la collaboration entre interprètes et compositeurs. Je pense même qu'il s'agit d'une étape importante sinon nécessaire de l'apprentissage, surtout pour les compositeurs. Mais je pense qu'il faut que la collaboration ait une place spécifique dans laquelle le compositeur et l'interprète ont un but commun, sinon une place spécifique claire et pré- établie. Ce but doit être une exploration claire dans l'inconnu pour tout le monde. Sinon il ne s'agit plus d'une collaboration mais d'un partage de savoir pour l'un et d'un apprentissage pour l'autre. Ou encore, l'exploration peut se limiter qu'aux interprètes qui viennent fournir du matériau au compositeur qui, lui, reste dans sa zone de confort. Je n'ai rien contre cela, mais ce n'est vraiment pas ce que je comprends du terme de collaboration. Il me semble qu'il est important de spécifier préalablement la nature de la collaboration. S'il ne s'agit pas d'une exploration partagée et conjointe vers l'inconnu, cela peut paraître un peu cloisonné, voire arriériste, mais je pense que le rôle du compositeur est de composer, et le rôle de l'interprète est de jouer ; car, du moins c'est ce que l'on peut espérer, c'est à cela qu'ils sont les meilleurs ! Cela signifie que la collaboration devrait vraiment se limiter aux capacités de chacun, afin de pouvoir en extraire le meilleur des deux. Cela ne devrait jamais devenir une excuse du compositeur pour se débarrasser de sa responsabilité, ni une excuse de l'interprète pour se sentir plus important (témoignage d'interprètes qui m'ont vendu hardiment l'idée de collaboration. Pourtant je suis convaincu que l'interprète est précisément important et nécessaire car il fait ce que le compositeur ne peut faire, c'est-à-dire actualiser le texte, le rendre vivant. Il est une première oreille pour l'auditeur). Si le but partagé n'est pas réellement faisable (cela peut arriver pour des raisons diverses : conceptions différentes de la collaboration, non-entente entre les interprètes entre eux ou avec le compositeur, questions de temps, etc...), la solution adéquate me semble de réserver la collaboration pour des phases d'essais après que le compositeur ait eu le temps de mûrir suffisamment sa composition et ses choix. Le compositeur amène donc sur la table un but commun qui est le test, le raffinement et l'amélioration. La collaboration ne se fait plus de manière simultanée, mais devient une sorte d'aller-retour entre constructions/tests de la part du compositeur et raffinements/optimisations de la part des interprètes. La présence d'un chef peut même être un bel intermédiaire, à la fois grand connaisseur des interprètes et de leurs spécificités, et mais aussi du répertoire et du travail du compositeur. Il s'agit en réalité du type de collaboration de base lorsque l'on travaille avec de l'électronique en temps réel.

Il peut sembler que mes avis soient très (ou trop) tranchés, surtout considérant qu'il est difficile d'imaginer une collaboration qui soit nuisible à la création. Mais c'est exactement parce que la façon dont la collaboration peut nuire à la création n'est pas évidente qu'il me semble important de la clarifier et d'y faire encore d'avantage attention. La collaboration peut avoir l'air d'une occasion sociale réconfortante dans laquelle le compositeur peut installer une habitude, et il me semble observer de nombreux jeunes compositeurs pallier un manque de techniques, de connaissance des instruments, d'écoute, par la collaboration. Je n'ai pour l'instant pas été témoin de collaborations (des miennes, de mes collègues, ou encore de projets dont on peut écouter le résultat final) qui n'ont pas rencontré certains des problèmes énoncés ci-dessus.

De la collaboration dans ACTOR

Au regard des points énoncés ci-dessus, la collaboration de ACTOR m'a semblé fructueuse mais inégale. Il y a eu de très nombreux points positifs, et cela a été pour moi une occasion et une expérience très enrichissante et très productive. J'ai beaucoup appris de tout cela, et j'en suis immensément reconnaissant. On a eu la chance d'avoir avec nous toute une équipe très investie, à l'écoute des problématiques et toujours en recherche d'améliorations. Mes critiques auront vraiment pour but d'améliorer et d'optimiser la recherche pour les prochaines années, et éventuellement, si elles existent, de proposer des solutions.

La première problématique il me semble a été que la conception de la collaboration a été très différente pour tout le monde. Il m'a semblé que tous les compositeurs et interprètes n'ont pas été très excités d'explorer hors de leur zone de confort, certains ne sachant pas nécessairement quoi faire et comment. Il s'agit sans doute du fait que la collaboration n'est pas naît d'une nécessité intérieure, mais la collaboration a été amenée aux compositeurs et musiciens. Mais il me semble difficile de contrecarrer cela sans mettre la collaboration dans des cadres très spécifiques qui peuvent étouffer celle-ci. Je suppose qu'il s'agit donc d'un paris lors de la sélection des interprètes et des compositeurs, paris qui peut valoir le coût.

Un autre point qui pourrait aussi être amélioré est la formalité des différentes phases. J'ai conscience qu'il est très difficile de sortir de cette formalité tout en gardant cela organisé, que cela reste un cours encadré par des professeurs. Mais j'ai senti qu'il y avait une sorte de timidité de la part des élèves (moi compris) qui peut-être nuisait un peu à l'aspect exploratoire et tâtonnant du projet. Il est certain que cela nuisait à une certaine franchise et à la possibilité de retours francs et constructifs entre les élèves. Musicalement, il y avait une certaine peur partagée par les interprètes et les compositeurs de faire n'importe quoi, alors que souvent, ce n'importe quoi fait partie du processus et peut amener des idées ou des réponses très intéressantes et hors des sentiers battus. Je tiens à préciser que cette peur n'était sans doute pas consciente. Elle est aussi augmentée par le fait que presque aucun des élèves ne se connaissaient. Idéalement, il aurait fallu que les interprètes et les compositeurs se connaissent d'avant le séminaire ; ainsi la collaboration, l'entente, la capacité à être critique, à se surpasser et à pousser les autres membres de l'équipe aurait été beaucoup plus présente et efficace. Bien sûr, il est très difficile de trouver des interprètes avancés, habitués de jouer la nouvelle musique, et qui en plus se connaissent. Une solution alternative serait peut-être d'offrir ou de vivement suggérer que les compositeurs et les interprètes passent du temps ensemble en dehors des cours. Si l'on veut absolument suivre toutes les étapes pour la recherche, nous pourrions nous munir d'un enregistreur zoom afin de faire part des différentes étapes de l'exploration ou des rencontres hors du cadre du séminaire. Cela construirait une certaine confiance et une entente mutuelle. Malheureusement il est difficile de forcer qui que ce soit à partager et à s'entendre, et je ne pense pas qu'une atmosphère plus décontractée en séminaire serait une bonne option, cela peut rapidement devenir un peu inconfortable voire embarrassant (cringy). De plus, je pense que la présence de Guillaume et de Stephen était décontractée, encourageante et bienveillante. La tension se trouvait donc plus dans le cadre et la situation. Une autre solution serait peut-être d’intégrer les compositeurs comme interprètes dans des situations d'improvisation. Je dois avouer que, si j'avais à le refaire, j'aurais sans doute contacté les interprètes dès le premier jouer pour aller se prendre un café et commencer à créer des liens.

J'aurais apprécié que les interprètes osent plus à critiquer ce qu'on leur amenait. Je comprends que cela peut être inconfortable, mais c'est personnellement comme cela que j'apprends à écrire pour les instruments. Il me semble très important de pouvoir reconnaître quand ce que l'on écrit est très confortable et facile, facile mais inconfortable, difficile mais confortable, ou encore difficile et inconfortable. Cela permet de savoir si tel moment vaut le coup, considérant son niveau de difficulté et son efficacité instrumentale. En ce sens il est important que les interprètes ne se plient pas à toutes les fantaisies du compositeur. Toute fois, il semble difficile de trouver un bon équilibre (certains interprètes peuvent parfois être réticent à certaines nouvelles techniques, ou à une difficulté qui leur demander de se surpasser) et là le chef est utile afin de mettre en place un bon équilibre, et un certain terrain neutre. Même si, comme je l'ai expliqué plus haut, cela va vraiment influencer la composition, surtout que les interprètes ne sont pas nécessairement professionnels, je pense que dans un processus d'apprentissage dans le cadre de l'université, cela serait bénéfique pour les compositeurs dans le cadre du projet. De plus, j'ai confiance que Guillaume sait aussi faire la part des choses.

Enfin, du point de vue temporel, je pense que cela aurait été bénéfique de donner plus de limites et de deadlines pour les compositeurs. Ce n'est pas l'idéal, et cela est définitivement en grande partie de la faute des compositeurs. Mais la grande séparation des étapes entre les présentations, l'exploration, la phase de résolution de problème, puis les répétitions portait à confusion. Je pense qu'il était attendu de nous que nous composions la pièce dès Novembre. Mais en réalité il est difficile de mélanger simultanément l'exploration et la composition, sauf si le compositeur est très clair avec ses intentions, et est très organisé (ce qui est rarement le cas). De plus, la constante activité hebdomadaire a tendance à flouter l'approche de la grande deadline finale. Vous avez pu remarquer qu'il a été difficile pour certains d'entre nous d'amener la pièce complète pour la date due. Je pense qu'une solution facile est de mettre des deadlines plus strictes et plus progressives. Par exemple avoir un certain nombre de minutes pour la rentrée du second semestre. Je pense qu'il est aussi important de commencer la réflexion sur la composition plus tôt. Peut-être que le premier article sur notre projet de composition devrait être plus tôt (début ou mi Novembre ?), pour fixer une certaine intention, puis nous laisser 3 mois de composition. Le plus de temps pour composer, bien sûr le meilleur c'est : tant pour les compositeurs que pour la recherche, car on peut supposer que le résultat sera plus intéressant et plus mature. Une autre deadline que je pense importante est pour les interprètes : les compositeurs devraient leur envoyer le matériel le lundi de la semaine de la répétition ou de l'atelier.

De manière générale, le manque de clarté de ce qu'il fallait vraiment faire rendait le travail incertain et chaque décision devenait un doute. J'ai conscience que cela peut créer un moule plus stricte, un encadrement plus étroit, mais il serait peut-être intéressant de donner un tel cadre tout en annonceant aux compositeurs qu'ils peuvent explorer en dehors de ce cadre, l'enfreindre, sans rien perdre. Cela va créer une plus grande cohésion, et à la fois, on l'espère, ne pas enfreindre trop à une liberté qui peut- être source de découvertes intéressantes. Cela risque toutefois de faire peu académique, surtout dans le cadre d'un séminaire universitaire. Mais je pense que le risque serait intéressant à prendre.

Finalement, comme énoncé à la fin du premier semestre, je trouve que les présentations du 9/12 début d'année aurais pu être beaucoup plus poussées, plus techniques. L'important est plus d'engendrer une réflexion, un appétit pour la recherche du timbre, plutôt que de nous apprendre de façon à que nous utilisions tous les matériaux qui nous sont proposés. Il n'y a donc pas de risque de nous écraser par trop d'informations. Si un des sujets a attisé la curiosité du compositeur, c'est sa responsabilité d'ensuite creuser tel ou tel aspect. De plus, toutes les présentations ont été faites par des membres de l'équipe ACTOR qui, je suis sûr, serais ravis de nous expliquer ou de partager plus sur leur sujet.

Solutions trouvées et conclusion

Il faut tout de même avouer que ce projet a grandement fait évoluer ma pensée de l'orchestration. Ma connaissance de ces instruments et de la manière avec laquelle ils peuvent se mélanger et créer de nouveaux timbres complexes s'est énormément améliorée. Ce projet m'a poussé à m'adapter et à trouver des solutions rapidement.

Ce projet m'a particulièrement fait prendre conscience de différents phénomènes dont j'avais peut-être l'intuition, mais sont devenus plus conscient par la recherche, les différentes tentatives, ainsi qu'une réflexion consciente et personnelle. Premièrement, j'ai été surpris de la possibilité d'émerveillement de sons aussi simples que des accords, à condition que leur contexte, leur harmonie et leur répartition soient bien gérés. Il est aussi nécessaire qu'ils aient une place dans le discours. J'ai trouvé quelques points d'arrivées harmoniques qui par leur seule articulation harmonique et timbrale se sont révélés être d'une très grande satisfaction. Les différences se dynamiques dans les instruments, parfois exagérées, permettent de masquer quelques artefacts de certains sons instrumentaux par d'autres, facilitant ainsi leur fusion. Il serait intéressant de voir à quel point la différence est nécessaire, et quel est la limite de perception des différents éléments en un tout. Mais, et c'est là l'avantage de la composition, les nuances étant subjectives et purement relationnelles, je suppose que c'est aux musiciens de trouver ces limites pour la performance.

La seconde prise de conscience a été concernant l'efficacité des distractions dans le timbre. L'écoute se baladant de manière tellement rapide et fluide dans les sons et les différentes couches, il est intéressant parfois de créer des diversions pour l'écoute afin que certaines parties du timbre de certains instruments ne soient pas perçues. Il peut s'agir d'une simple différence de dynamiques (par exemple dans les mesures 17-19 de ma pièce : le trombone d'abord prépondérant s'efface au profit du couple clarinette/violon, et alors que ceux-ci reviennent vers un contenu harmonique proche des partielles du trombone, nous redécouvrons le trombone qui s'était retiré de notre écoute ; ou encore dans les mesures 32/33, l'entrée du trombone est complètement cachée par le ff violon/clarinette, et il se passe quelques secondes durant lesquelles le trombone est presque perçu comme un subtone) ou encore d'un certain surplus d'informations (par exemple dans les mesures 63 et suivantes, notre écoute circule tellement rapidement entre les différentes couches, que certains sons vont rester in-identifiables).

La confusion de l'écoute peut aussi s'exprimer parfois au niveau du phrasé. Pour reprendre le terme de Kandinsky, on peut jouer avec certains aspects de voilé-dévoilé. Un exemple serait de 40 à 45, dans lequel ces nuages de points semblent courir sans forme distincte avant de se former très distinctement en un mouvement pendulaire. Ce passage, en contraste avec la clarté de la direction et du matériau des phrases précédentes, laisse l'écoute en suspend, sans que celle-ci puisse créer de groupes, de fonctions, ou encore de mouvements distincts. Cette difficulté à grouper se retrouve aussi dans le timbre, permettant une espèce d'homogénéité malgré la grande différence de timbre. Un passage similaire serait de 162 à 165.

Il sera intéressant d'explorer ces phénomènes plus en profondeur, mais je suis très heureux d'avoir pu les actualiser et les concrétiser dans cette pièce. En bref, malgré mon opinion mitigé des collaborations, j'ai tout de même pu cristalliser des techniques et des réflexions que j'avais auparavant, et j'ai pu rendre beaucoup plus souple l'idée et la conception de l'orchestration. Si on m'avait dit l'année dernière qu'il était possible d'avoir un très bel accord, issu d'un mélange de vibraphone, violon et trombone, je pense que je ne l'aurais pas cru !

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